Père Lizier de Bardies | 15 avril 2021
Nous voici, de grand matin, à une heure inaccoutumée, dans le contexte particulier de cette année. Nous avons rejoint les femmes myrophores – porteuses de parfums : Marie Madeleine, Marie mère de Jacques et Salomé. Elles allaient à la pointe du jour remplir les devoirs funéraires qui n'avaient pu être accomplis antérieurement à cause du sabbat.
Nous aussi nous sommes avec la mémoire de ce Jésus, de ce que nous avons connu de lui, de ce qu'il nous a été donné de partager de son chemin. Nos cœurs vont riches d'un passé. Mais qu'espérer encore ? Il suffit de garder le message et le souvenir du chemin parcouru. La mémoire du crucifié prend toute la place à cette heure matinale. Et les femmes n'ont d'autre question que celle de savoir qui leur roulera la pierre du tombeau pour y entrer et remplir leur
ultime geste de respect et de vénération, le devoir prescrit, mues par la compassion et l'attachement.
Et puis voilà que le tombeau est ouvert. Par qui ? pourquoi ? Elles entrent, et voici qu'un messager, vêtu de blanc, vêtu de la lumière divine leur dit : « Ne soyez pas effrayées. Vous cherchez le crucifié ? Il est ressuscité. Il n'est pas ici. Voici l'endroit où on l'avait déposé. Allez dire à ses disciples et à Pierre. IL vous précède en Galilée. Là vous le verrez »
Oui, n'ayons pas peur ! Osons accueillir l'indicible, l'inconnu. Ne nous laissons pas arrêter par ce qui est notre espace familier de pensée, ce qui relève de notre manière de comprendre le réel, d'agencer notre vie, de nous satisfaire de nos certitudes, de côtoyer nos préventions et nos peurs qui nous empêchent de vivre et de croire au jour le jour.
La peur, elle, nous a habités ; elle nous habite ! Souvenons-nous de tout ce que nous avons traversé depuis un an. Les peurs du début de la pandémie avec le contrôle exercé sur tous les gestes que nous pouvions poser, comme à l'égard de toutes les personnes que nous pouvions croiser, rencontrer. Peur de vivre, peur de mourir. Cette peur demeure très vivace chez certaines personnes jusqu'à les plonger dans l'angoisse, tandis que d'autres vont insouciantes, se jouant de toutes les peurs / comme aiment le faire les adolescents, fascinés par les risques, dans une protestation où le risque de vivre et le risque de mourir se confondent.
Il est bien vrai que la peur nous établit chacun dans un rapport complexe et étrange à la vie et à la mort. Se trouver enveloppé par la peur, la laisser régner en nous, c'est consentir à la lente paralysie, à l'asphyxie, c'est nous laisser enfermer en nous-mêmes, centré sur soi et la menace du danger, c'est perdre l'amour, et laisser la mort s'installer.
La peur chasse l'amour. L'amour chasse la peur.
Pour vivre, il nous faut consentir à aborder un espace inconnu à notre expérience, à notre raison. N'ayons pas peur de ce que le Christ nous invite à accueillir de son mystère. Nous sommes démunis de tout savoir pour aller par ce chemin. Mais n'est-ce pas le trait même qui caractérise toute notre vie ?
Cherchons Jésus là où il nous attend. Ne nous résignons pas au silence du monde à son sujet. Ne nous résignons pas au silence que rencontrent nos cœurs. Il n'est pas un maître du passé dont on garderait le souvenir d'un message fascinant, mais qui avec le temps et les contradictions structurelles et personnelles de l'Église et de ceux qui se réclament de lui, perdrait de son acuité et de sa recevabilité, message finissant dans un effacement progressif et dans l'oubli. Il nous faut partir du Christ et non de nous ! Car ce qui a habité son cœur par l'action du Père est dorénavant présent sans limite de temps et d'espace à quiconque se laisse rencontrer par lui, habiter par sa vie. Là est l'expérience de Pâques, chemin de renouvellement de nos existences.
Il est vivant. Il est le Vivant. Il est Vie communiquée, diffusée, offerte à tous.
Être témoins de cette vie, c'est aller de l'avant, là où il nous attend, sans inquiétude pour demain, sans regarder en arrière. Aller dans la paix et la confiance puisqu'il est au-devant – là où nous le verrons comme il nous l'a dit.
Une jeune libanaise, rapportant son témoignage de ce qu'elle a découvert et vécu au long de cette année – au travers des divers malheurs que connaît son pays, disait : « ma foi m'a fait prendre conscience que cela ne servait à rien d'avoir peur ». Elle a du coup su inventer des réponses avec d'autres pour servir et rejoindre indistinctement des personnes éprouvées, plus éprouvées qu'elle. L'amour reçu et donné libère de la peur.
Pâques, c'est la victoire de l'amour sur la mort. La victoire du Christ qui devient notre espérance et l'horizon de notre propre victoire.
Le Christ nous invite à sortir de nous-mêmes, ne nos forteresses illusoirement protectrices. Il nous devance, nous attend ailleurs. Il devient notre présent. Il nous invite au risque de la foi, au risque de le suivre, au risque d'aimer. Vous connaissez ce chant que l'on entend parfois lors d'obsèques : « Celui qui aime a déjà franchi la mort, rien ne pourra le séparer de l'amour du Dieu
vivant ». Voilà la lumière de Pâques. Voilà notre joie !
En ce jour nouveau qui se lève, un nouveau matin commence pour ce monde, un jour nouveau se lève dans nos cœurs : Christ est ressuscité. N'arrêtons pas de marcher vers Pâques, de consentir à traverser la mort pour vivre, renouvelés, avec le Christ.
P. Christian Teysseyr