Père Christian Teysseyre | 19 février 2023
Jésus continue d'exposer une vie évangélique. Il est instructif de lire le propos de Jésus de ce jour en ayant à côté la première lecture du Livre des lévites. Les points de comparaison sont multiples
Tout d'abord Le livre des Lévites introduit le propos moral par cet ordre : « Soyez saints parce que moi votre Dieu je suis saint ». La sainteté définit ce qui caractérise le divin. Sa sainteté communiquée aux hommes est donc leur participation à la vie de Dieu, leur ressemblance à Dieu.
Jésus lui termine son enseignement moral par une considération analogue, cependant avec un autre terme employé par Mathieu, celui de la perfection : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait ». L'approche de la perfection est bien plus complexe. Les commentateurs observent que c'est le seul endroit dans l'évangile où il est question de la perfection de Dieu. Avec le Christ nous sommes appelés à tendre à la perfection. Cependant la tentation est grande de confondre la sainteté de Dieu et sa perfection telle qu'elle s'est manifestée dans le Christ et l'idée que nous nous faisons de la perfection, comme image idéalisée de nous-même à donner aux autres (et aussi à nous-mêmes).
Ce qui est sûr, c'est que nous sommes invités à mettre en nos vie la ressemblance du Père. La référence, c'est Dieu notre Père. D'ailleurs, Jésus va nous presser à des comportements nouveaux, pour que nous soyons vraiment des fils du Père : « priez pour ceux qui vous persécutent afin d'être vraiment les fils de votre Père qui est dans les cieux.
Jésus pour marquer la différence entre son enseignement et les pratiques et enseignements antérieurs, dit. « Vous avez appris : « Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi ». Cependant, le passage des Lévites que nous avons entendu, ne parlait pas exactement ainsi. Au contraire nous entendions étonnement : « Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur, tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Nous avions déjà la consigne interdisant la vengeance et la rancune.
On voit que l'amour est un trait constant du judaïsme et du message évangélique. Si Jésus et l'évangéliste soulignent une distinction avec le temps précédent et la manière de comprendre la loi, c'est pour affirmer ce qui est au cœur de la morale évangélique : être en permanence des initiateurs, sans cesse aller au-devant de l'autre, prendre les devants, ne jamais être quittes, se laisser toujours conduire par la générosité au-delà du requis.
D'où ces paroles :
« Si quelqu'un peut te poursuivre en justice et prendre ta tunique, laisse-lui aussi ton manteau »
Ou encore : « Aimez vos ennemis ». Non seulement, il s'agit de « ne pas riposter » comme nous le demande le Livre des Lévites, mais il s'agit « d'aimer ses ennemis et de prier pour ceux qui nous persécutent et nous font du mal », ce qui est loin d'aller de soi et d'être inoffensif. C'est tout un processus de changement de mentalité et de mode de vie que le Christ nous demande, pour ne pas vivre dans la spirale de la violence. Cela est fort utile aujourd'hui où la violence a perdu ses régulateurs. L'expression contemporaine : « j'ai la haine » est révélatrice à ce sujet.
Aimer ses ennemis, Nous ne pouvons pas passer trop vite sur cette parole. Elle caractérise le message chrétien et la vie de Jésus lui-même. Nous savons comment ceux qui se mettent à la vivre changent et ont changé le monde.
Cette différence affirmée, Jésus l'accentue par cette opposition : « vous avez appris qu'il a été dit… moi je vous dis ».
Acceptons-nous ce : « Moi je vous dis », une prescription bien au-delà des codes convenus et admis et bien au-delà des lois communes. L'évangile ne pourra jamais se laisser réduire à ce qui est jugé acceptable par chacun comme par les sociétés. Il y a une ouverture et une radicalité désormais irréductibles. La force de l'évangile ne peut se mesurer à l'aune de nos capacités et du degré de nos consentements
On le voit il y a une différence entre aimer son prochain comme soi-même, c'est-à-dire comme chacun désire être aimé et par ailleurs ne pas haïr son ennemi, et puis ce que Jésus demande : aimer ses ennemis. La perfection est là. « Si vous aimez ceux qui vous aiment que faites-vous d'extraordinaire », tous en font autant, c'est chose naturelle.
Ne restons-nous pas trop souvent à l'amour de ceux qui nous aiment ? à ce qui est naturel et spontanément allant de soi ?
Il y a un immense écart entre aimer les autres comme soi-même – ce qui est déjà un repère, et l'amour que le Christ nous demande de vivre dans un dépassement de la limite.
Chacun de nous a entendu la parole de Jésus et a cru à cet appel à la perfection, et il est fort possible que nous ayons renoncé à celui-ci au cours du temps, gagnés par un sentiment d'impuissance, par l'impression d'un leurre que le temps présent est loin de faire disparaître. Mais nous risquons d'avoir remplacé la perfection du Christ par notre propre perfection et au vu de nos imperfections nous avons le sentiment d'un échec ou d'un mensonge,
Par rapport à cette perception, j'espère cependant qu'il nous arrive de voir des vies accueillir humblement cette parole du Christ et consentir quotidiennement à la perfection du Christ, dans la conscience comme le dit l'apôtre Paul aux Corinthiens que l'Esprit habite en eux. On est fait souvent témoins de ce travail de l'Esprit, en étant le témoin de la manière dont des vies s'ouvrent à Dieu, se laissant façonner par Dieu. L'évangile ne cessera pas de résonner faisant entrevoir des chemins nouveaux. Il y aura toujours des hommes et des femmes qui donneront crédit à l'évangile, se laissant conduire par lui sans condition.
Ce qui nous rappelle la vérité de cet appel, c'est que nous sommes le sanctuaire de Dieu, temple de Dieu, le lieu où réside sa sainteté. Cela nous est donné. Comme le rappelle l'apôtre, ce n'est pas dans des hommes que nous pouvons mettre notre confiance, mais dans le Christ. En lui, toute perfection s'est trouvée accomplie.
Saint Paul de nous rappeler en terminant « Vous êtes au Christ »
Que nous ayons ce réel désir d'une appartenance au Christ par tout nous-mêmes, dans une permanente conversion.
Le carême maintenant proche nous y invitera et nous y engagera.