Père Lizier de Bardies | 4 octobre 2021
En ce jour je voudrais vous inviter à considérer comment fait-on un saint ? A vrai dire, je n'entends pas vous parler de la manière dont l'Église procède à une canonisation. Mais plutôt comment une vie accueille la sainteté de Dieu, comment une vie est modelée par Dieu. Chaque saint a vécu cela et le vit d'une manière unique et c'est cela qui est fascinant : aucun saint ne ressemble à un autre. Chacun a sa physionomie, son visage propre. Certains nous parlent immédiatement plus que d'autres. Aujourd'hui regardons Jérôme, saint Jérôme.
Saint Jérôme nous rejoint dans les grands contrastes de sa vie.
Il est né vers 347 à Stridon qui devait se situer en Slovénie/Croatie. Il est le fils unique et gâté d'une famille riche. On n'a pas de peine à entrevoir la place qu'il pouvait occuper, la place qu'on lui donnait. Il n'a pas dû manquer de cette reconnaissance dont chacun a besoin pour croître. Dès l'âge de 12 ans, il part pour Rome où il va étudier la grammaire, la rhétorique, la philosophie, l'astronomie. C'est dire qu'on entend lui donner les moyens d'une formation primordiale et ainsi trouver une place honorable dans la vie intellectuelle de son temps.
Il était né de parents chrétiens et pourtant comme bien d'autres à cette époque, le chemin de la foi avec les grandes exigences qu'elles comportent ne va s'ouvrir que tardivement. À 18 ans il décide de devenir chrétien et demande le baptême, s'inscrit au temps du catéchuménat. On ne sait pas bien depuis quand il était entré en catéchuménat ? À l'époque il n'y avait pas une durée commune, uniforme ; chacun en fonction de sa situation pouvait avoir une attente assez longue. Jérôme est baptisé dans la nuit de Pâques 365. Cela traduit sa capacité de décision. Il n'a pas remis à plus tard. Il veut immédiatement de consacrer à Dieu. Un chemin commence qui va durer une dizaine d'années à la recherche de sa vocation, ce qu'il va faire. La vie continue. Il poursuit des études en Gaule à Trèves. Il entame une formation théologique. Il fréquente de nouvelles communautés monastiques.
Vers 373, il part pour Antioche en Syrie où il poursuit sa formation en théologie et enseigne.
Il décide de rejoindre la vie monastique, notamment dans sa forme érémitique telle que l'Orient la pratique. Il va vivre en ermite au désert de Chacis en Syrie en 376 où il passe deux ans. Qui dit ermite, dit solitude, présence à Dieu, pénitence, travail, et aussi contact avec les voyageurs, attentifs à rencontre des hommes de Dieu.
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Il se rend à nouveau à Antioche, fameuse pour son école exégétique. C'est à ce moment qu'il apprend notamment l'hébreu. Puis il commence à traduite des livres saints.
Ce choix de Jérôme de la vie érémitique souligne son désir de radicalité, son choix de vouloir suivre le Christ sans concession. C'est sans doute un tempérament, mais il faut une force de tempérament pour faire de grands choix. Cela a toujours été vrai.
A Antioche, il va être ordonné prêtre vers 379, puis emmené par son évêque comme secrétaire, interprète et conseiller pour l'accompagner au concile réuni en 382. C'est dire combien son expérience est précieuse à l'Église. C'est ainsi que les choses s'enchaînent comme dans nos vies par le concours et l'addition des circonstances : Le Pape Damase prend Jérôme comme secrétaire en 383. Jérôme est un érudit dont on ne peut se passer. Cela vient des études entreprises dans les écoles, comme de ses études personnelles, comme aussi du chemin parcouru. Il se définira lui-même comme « à la fois philosophe, rhéteur, grammairien, dialecticien, expert en hébreu en grec et en latin, possesseur de trois langues ». Le chemin parcouru ne se comprend qu'ensuite, a postériori, faisant entrevoir comment on a été préparé à telle mission à laquelle on s'est trouvé appelé. Ainsi le pape lui demande de réviser la traduction des évangiles. Ce travail va le prendre pendant 20 ans
On ne sépare pas l'expérience intérieure et le champ des compétences acquises.
A la mort du pape Damase (384), il va partir l'année suivante pour l'Orient : il revient à Antioche, visite la Terre Sainte Pendant l'hiver 385-386, il part pour l'Égypte, berceau des grands modèles de la vie ascétique, puis il séjourne à Alexandrie, grande école de théologie. C'est un temps d'itinérance, de recherche. De retour, il va s'établir à Bethléem, il fonde un double monastère d'homme et de femmes, qu'il organise et qu'il accompagne.
Suivre le Christ, c'est le chercher, l'écouter, le contempler. La prière, la contemplation sont le lieu éminent de la rencontre du Christ. L'autre lieu : scruter les Écritures, pas seulement les lire, mais se les approprier, s'en nourrir, faire qu'elles deviennent nos pensées. C'est ce qui le conduira à avoir cette formule ramassée, qui dit toute sa foi et sa conviction inébranlable : « Ignorer l'Écriture, c'est ignorer le Christ »
L'Écriture, l'attention aux saintes Écritures est devenue l'objet de sa vie. Il va les lire, les traduire, les expliquer. Il traduit l'ensemble des livres sur l'hébreu et non sur la traduction grecque, comme on le faisait. Il commente de nombreux
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livres de la Bible, selon une pratique courante, cherchant à faire entrevoir le sens de l'Écriture ou plutôt les sens de l'Écriture, selon les écoles d'exégèse d'alors.
Cet homme de solitude circule aussi, il est aussi visité. On le consulte beaucoup, de partout, on cherche ses conseils. Il a une vaste correspondance. L'évêque de Toulouse Exupère l'interrogera. Il a indéniablement un rayonnement. Des hommes et des femmes veulent demeurer dans sa proximité. Il crée deux autres monastères de femmes. Il accompagne spirituellement de nombreuses personnes.
Il vit chaleureusement les relations qui lui sont données, il est fidèle en amitié. Il y a Saint-Grégoire de Nazianze auprès de qui il a étudié, Paula, la noble patricienne et d'autres dames romaines qui ont suivi Jérôme dans la vie érémitique et pénitente, toutes marquées par son rayonnement et sa force d'âme, mais aussi tous ceux qu'il va croiser en terre sainte, pèlerins et pénitents, ou dans ses voyages : Rufin d'Aquilée, Didyme l'Aveugle qui avait connu saint Antoine le grand, fondateur du monachisme en Egypte, Mélanie l'Ancienne qui fonde en 380 un monastère sur le mont des Oliviers. Ce qui frappe c'est cette constellation, tant de vies extraordinaires, de toutes provenances, se croisent. Des rencontres éclairantes qui comptent. Dans nos vies, il en est de même, des rencontres nous sont données qui balisent notre route, ces compagnons de route formels ou implicites qui nous ont partagé quelque chose d'eux, de leur chemin, de leur connaissance du Christ.
Comme tout un chacun, il n'est pas sans défaut, loin de là… Jérôme est un homme de passion, d'emportement et de colère… et tout cela forcément transparait dans ses écrits, dans ses relations. Il a une dureté, une ironie cinglante, des propos démesurés, un caractère intraitable. Il trouve le moyen de se brouiller avec sa famille, il manifeste un rigorisme, et un dégoût du christianisme mondain. Il suscite des oppositions, notamment à la suite des dures critiques qu'il porte. Il est un homme d'excès. Il ne connaît pas bien la demi-mesure, ni la pondération. Il en était déjà ainsi lorsqu'il était à Rome, se mettant en difficulté avec tout le monde, y compris avec ses partisans.
Nous savons bien que tout cela est l'envers du meilleur des vies, de leur passion pour vivre du Christ rencontré. Contradictions inhérentes jamais totalement départies, parfois plus évidentes chez certains. Ces défauts, parfois grands, sont les traits négatifs de ce qu'ils ont consenti à être et devenir. Ce que l'on retient en fin de compte, c'est leur vie accomplie, la véritable personnalité qui s'est manifestée. Pour eux comme pour nous, c'est cet accomplissement qui résume une vie et non l'écume des jours.
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Nos traits marqués de tempérament, nos défauts, nos mauvais plis sont bien sûr une entrave et une épreuve, mais c'est aussi le lieu de notre conversion inlassablement. C'est dans la totalité de notre vie que le Christ nous rencontre et nous transforme pour nous établir dans sa ressemblance. C'est par ce chemin que les saints sont devenus des saints et c'est par là qu'ils sont admirables. C'est parce qu'ils sont les plus humains des humains, qu'ils nous ressemblent et que du coup nous pouvons leur ressembler dans un chemin de fidélité, dans cet amour du Christ qui n'a cessé de les conduire et de les habiter, de les transformer au jour le jour, jour après jour.
Votre recteur ne nous disait-il pas l'an passé que si l'Église honore saint Jérôme, c'est à cause de son engagement dans le travail, homme de labeur infatigable, saisi par celui qu'il recherche dans les saintes Écritures, mettant toute son érudition au service de l'Écriture, conduit par l'amour de l'Église, se mettant à son service, témoin de l'orthodoxie de la foi dans un monde où les dérives de la pensée affectaient bien des chrétiens, seraient-ils évêques. L'Église honore une vie donnée dans un renoncement qui impose le respect.
Il a été au croisement de tous les grands patriarcats de la catholicité à travers ses fréquentations à Rome d'abord, à Antioche en Syrie ensuite, puis à Jérusalem, puis à Alexandrie. Il est un témoin de l'universalité et de la catholicité de l'Église. Il est un témoin des grandes familles et traditions de pensées du monde chrétien d'alors. Il nous invite à aimer et à servir la catholicité de l'Église.
Une vie a toujours un rayonnement d'une manière ou d'une autre. La vie de Jérôme a été un appel pour des hommes et des femmes de son temps comme nous l'avons vu. Par la suite aussi, puisque des pénitents se sont inscrits dans son chemin spirituel. Il en est ainsi des pénitents qui membres d'une confrérie se réunissaient dans cette église, se mettant sous le patronage de saint Jérôme et de sainte Marie-Madeleine.
Nous aussi, il y a des chemins de foi qui nous parlent, qui nous mettent en route. Soyons fidèles à ce qui nous a été donné d'entrevoir, à l'amitié que nous avons tissée avec des saints et que les saints ont tissé avec nous. Chacun de nous partage quelque chose d'unique dans sa manière de connaître le Christ et de l'aimer.
Saint Jérôme peut nous parler et nous rejoindre, à travers ce que nous avons souligné de lui, y compris ses limites. Nous percevons comment Dieu l'a tenu par la main. Dans ce monde versatile, il nous apprend l'endurance et la constance. Savoir nous déterminer, aimer passionnément, aller au bout du chemin.
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Il est mort en 420 à un âge avancé pourrait-on dire, riche d'une expérience humaine et spirituelle.
Retenons une parole de lui qui le dépeint bien dans sa force de conviction : « Ce qui a de la valeur, c'est d'être chrétien et non de le paraître ».
Avec Saint Jérôme, chacun peut rendre grâce pour le chemin parcouru, pour ce qui a été donné, reçu, traversé, offert.