Elle nous paraît bien plus dure cette version des Béatitudes en St Luc, plus que celle en St Matthieu qui n'évoque pas les « paroles de malédictions » et qui semble spiritualiser « Heureux les pauvres en esprit » (Mt 5,3) ce que St Luc affirme sans contour « Heureux les pauvres » (Lc 6, 17-26)…Faut-il nous en inquiéter ou revenir à la source de cette formule au cœur de la Bible, les « anawims », mot pour mot, « les pauvres que Dieu aime » ou « les pauvres de Dieu ». Il ne s'agit pas seulement de ceux qui manquent de ressources mais la réalité de ceux qui « manquent de tout », « qui sont éprouvés » et qui n'ont d'autre recours que Dieu. Ils sont petits, faibles, humbles, affligés, courbés, abaissés, fragilisés, sans dignité, sans reconnaissance face à tant de défis, alors ils se tournent vers Dieu ! Ce qui semble les empêcher d'être hautain, trop sûr d'eux-mêmes ou de leurs biens, orgueilleux, démesuré. Il nous faut revenir à la Bible : « Je laisserai en toi, un peuple petit et faible qui s'abritera sous le nom de Dieu » (Sophonie 3, 12) « Cherchez Dieu, vous tous les humbles du pays qui exécutez sa volonté » (Sophonie 2,3). « Ta force n'est pas dans le nombre, ni ta puissance dans les forts, mais tu es le Dieu des humbles, le secours des petits, le défenseur des abandonnés, le sauveur des désespérés » (Judith 9, 11). « J'étais faible et Dieu m'a sauvé » (Psaume 9). « Il ne jugera pas d'après les apparences, il ne tranchera pas d'après ce qu'il entend dire, il jugera les petits avec justice et droiture » (Isaïe 11, 4-10). Dans l'Evangile, Jésus dira « L'Esprit m'a oint pour porter la bonne nouvelle aux pauvres » (Luc 4, 18) c'est-à-dire à tous ceux qui attendent au cœur de leurs limites, le secours de Dieu. On se rappelle du fils prodigue (Luc 15, 11-32), d'abord appauvri matériellement ayant tout gaspillé, puis pauvre de reconnaissance et enfin pauvre moralement capable de se reconnaître pécheur, attendant tout de son père. Marie elle-même se mettra dans cette condition « Il a jeté les yeux sur la pauvreté, l'humilité de sa son servante ». Le croyant n'est-il pas celui qui attend tout de son Dieu dans une attitude de « pauvre », comme les mains ouvertes pour tout recevoir de lui, comme pour être libre et subitement disponible pour aimer ? Jérémie disait : « Béni l'homme qui met sa foi dans le Seigneur, il sera comme un arbre planté au bord des eaux, qui ne redoute pas la chaleur et qui porte du fruit »…L'inverse de celui qui se replie « qui ne sent rien quand arrive le bonheur, brûlé du désert, terre salée où nul n'habite » l'inverse d'une fécondité…En chaque homme il existe une faille, une limite qui est une ouverture à Dieu, un cri vers lui, une espérance…Père Michel Pagès, recteur du Sanctuaire