Père Michel Pagès | 22 septembre 2023
oilà un récit de Jésus qui a de quoi nous provoquer (Mt 20, 1-16). Il suscite des réactions : Dieu est-il injuste ? A ses yeux, les hommes sont-ils égaux ? Qu’en est-il du salaire équitable, à la mesure de son travail et de sa peine ? Dans la parabole le murmure et l’étonnement se font jour. La réponse à cet étonnement, qui peut aussi poindre en nous, est cachée dans notre propre cœur. Elle dépend de la place que nous nous attribuons dans le récit de cette parabole. Aussi longtemps que nous nous estimons « les ouvriers de la première heure », comme « des ayant-droit » qui font valoir leur prestation, leur investissement, leur fatigue, nous ne pouvons qu’être choqués de cette apparente injustice ! Sommes-nous prêts à entendre que notre cœur peut s’endurcir ? Sommes-nous prêts à accueillir une autre justice, qui va bien au-delà de nos calculs humains ? La vie se charge de nous apprendre que « le jour vient un jour », où notre cœur se brise, où nos calculs s’effacent, au détour d’une épreuve, d’un échec, d’un péché, d’une prise de conscience parfois humiliante, de notre incapacité à accueillir ce Dieu que nous prétendons aimer et servir ! Vous savez, ces moments où l’on ne maîtrise plus les choses, les évènements, le cours du temps et où l’on redevient « en attente » d’une aide, d’un secours, d’un regard, d’une écoute, d’une forme ou l’autre de soutien gratuit…même si cette aide n’est plus proportionnée à ce que nous prétendons être ? Ces moments où nous sommes conviés à inscrire notre vie dans une autre logique que celle qui prévaut dans nos sociétés ! Qui n’a pas connu ces moments, ces situations où les choses sont bousculées, où l’on n’est plus en situation de discuter, de prétendre, mais seulement d’accueillir et de faire la part des choses sur ce qui a de l’importance dans une vie et ce qui en a moins. Dans mes années de mission dans les lieux de soins ou les hospitalités, j’ai été le témoin de ces personnes de toute condition, de tout état de vie, de toute responsabilité humaine ou ecclésiale, je dis bien toutes, où ce réel se fait jour, où les masques tombent, où l’on n’est plus en situation d’exiger quoique ce soit, où l’on apprend un plus juste rapport à ce Dieu infiniment aimant, au cœur large, à la miséricorde sans mesure, et qui nous accueille avec nos limites enfin assumées. « Ton regard est-il mauvais parce que moi, je suis bon ? » dit Jésus. Pour quel enjeu ? La Joie, oui, la joie ! « Il y a de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour 99 justes qui disent ne pas avoir besoin de conversion » (Lc 15,7) Père Michel Pagès, recteur du Sanctuaire