Père Christian Teysseyre | 12 février 2023
Les Béatitudes que nous lisions il y a quinze jours sont la charte de la vie chrétienne, comme il est coutumier de dire. Mais pour une charte, il faut bien avouer qu'elles ont une forme bien particulière, puisqu'au lieu de prescrire, elles décrivent les attitudes mise en œuvre par chacun, tout à la fois dans la façon d'être que dans la pratique, dans les actes posés. C'est donc une loi qui est tout à la fois celle du Christ, et celle qui trouve place dans le cœur et la vie de chacun. Il s'agit donc d'une réponse individuelle, personnelle, d'un investissement, appelant un choix de vie, plus que la seule application de prescriptions extérieures. En ce sens il y a une dimension très moderne où la personne est le sujet délibératif qui dans un mouvement conscient, libre, et volontaire détermine sa vie et l'accomplit.
Alors qu'aujourd'hui quand Jésus reprend la loi mosaïque, il commence à dire la norme dans sa formulation première, prescriptive et dans sa forme d'interdit. On est là réellement dans la formulation d'une charte qui oblige, définissant un objet et un objectif qui s'impose à tous. La loi précède chacun de nous ; elle est donnée à l'homme pour le conduire et le faire vivre. La loi est structurante
Mais dans la manière de reformuler la loi, il y a trois choses qui caractérise la pensée de jésus :
1- Il est venu accomplir la loi. Ce verbe accomplir a trois sens ;
1/ que le Christ a pleinement vécu et accompli la Loi dans sa signification et sa réalisation. Il est le juste par excellence.
2/ accomplir veut dire aussi : que dans la manière de Jésus de vivre la loi, celle-ci a trouvé sa perfection et toute sa portée. Cela se traduit notamment dans le commentaire qu'il fait de trois commandements que nous avons entendus (cf évangile) comme plus tard du « Vous avez appris qu'il a été dit – et moi je vous dis ».
3 / Le véritable accomplissement, c'est celui de l'amour.
2- Il nous invite à dépasser la justice des scribes et des pharisiens : « Si votre justice ne dépasse pas celle des scribes et de pharisiens, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux ». Nous retrouvons dans cette parole l'approche paradoxale de Jésus. Car est-il pensable de pouvoir dépasser, surpasser les scribes et les pharisiens dans l'observance de la loi. C'est précisément ce que Jésus veut nous dire : nous ne pouvons pas nous contenter d'une simple observance ! Il faut aller plus loin.
3- En effet, non seulement Jésus donne une interprétation authentique et définitive de la loi, mais il élargit la perspective des commandements, il donne un autre champ à la fidélité. Il s'agit bien d'une loi nouvelle.
– Il ne s'agit pas seulement de poser ou de ne pas poser tel acte précis conformément à la prescription ou à l'interdit, il y a une extension du champ, un au-delà de la loi.
une hiérarchisation et une progression des attitudes conduisant au bien ou au mal. Cela apparaît bien dans le propos de Jésus
- Jésus invite à une approche radicale – c'est à dire qu'il souligne le rapport direct de nos actes avec les racines du bien et du mal. Jésus ne se contente pas du cadre extérieur des commandements, mais nous conduits au fond de leur signification, qui s'inscrit au tréfonds de notre cœur.
- Jésus nous invite aussi à une approche intégrale qui prend en compte la totalité du réel comme aussi les pensées et les intentions qui président aux actes… ce qui explique que dans la prière du « Je confesse » comme dans la reconnaissance de notre péché, nous savons que nous ne péchons pas seulement par action, mais aussi par pensée, par parole et encore par omission (encore faut-il prendre la mesure de nos omissions).
C'est notre vie entière qui se trouve en rapport avec la loi d'Amour du Christ, et pas seulement tel ou tel domaine qui retiendrait notre attention. C'est dire que les petites choses disent notre cœur profond. Tout nous implique et nous engage. Toute notre vie est saisie par la Parole Dieu.
Nous ne pouvons pas nous contenter d'un cadre défini auquel nous penserions avoir satisfait. Il faut aller au-delà, en avant. L'éthique chrétienne réside dans cette manière consciente de répondre de sa vie en toute chose dans une attention aux appels de l'Esprit. Répondre de sa vie, ce n'est pas autre chose qu'être responsable en accueillant sans cesse les appels que Dieu nous adresse par les événements de nos vies, le discernement que nous devons en faire, l'appréciation de notre conscience. Jésus commentera cela en permanence, par exemple : « On te prend ton manteau, donne aussi ta tunique ». Cette phrase est très révélatrice. La morale chrétienne réclame le dessaisissement et la liberté intérieure.
Quand Jésus nous dit qu'il vient accomplir la loi, mais aussi les prophètes, nous comprenons qu'il renvoie à la conversion du cœur, au renouvellement de toute la vie, au-delà de ce qui est donné à observer, dans une fidélité, d'une loi qui s'inscrit dans le cœur « Donne-nous seigneur un cœur nouveau, mets en nous un Esprit nouveau », comme le dit le prophète Jérémie dans une parole qui nous est familière.
Pour conclure, les premiers mots de la première lecture (Ben Sirac le Sage), résume la démarche morale du croyant
« Si tu veux, tu peux observer les commandements. Il dépend de ton choix de rester fidèle »
Cet énoncé insiste sur notre adhésion à la loi de Dieu, sur notre vouloir et notre pouvoir ; comme aussi sur la détermination qui nous revient. Jésus de manière ramassée dira : « Que votre oui soit oui, et que votre non soit non ».
Il y a là un fondement de notre humanité. Celle-ci pour s'accomplir réclame la conscience de ce que nous vivons, le vouloir, et la liberté, ces trois aspects définissant les actes humains. Il demeure essentiel de l'affirmer au risque de nous penser incapables d'engager notre vie et de marcher dans la fidélité de Dieu.
Dans ce temps de relativité et de soupçon aux multiples causes, il importe de résister à l'idée que tout ne serait qu'illusion. Car alors l'humain, créée à l'image et ressemblance de Dieu, se trouverait sans consistance, vidé de ce qui le constitue et de ce pour quoi il est destiné.
Chacun de nous a besoin de voir une vie évangélique, un vie concrète conduite par Dieu. Nous comprenons la vérité du Christ quand celle-ci, par grâce, nous est donné à voir.