| 8 juin 2020
La dernière fois que j'ai rencontré Madame Mady Mesplé c'était le 5 novembre dernier, dans le Salon Rouge du Capitole, où le Président Nicolas Sarkozy, en présence de Monsieur Jean-luc Moudenc, avait tenu à remettre lui-même à Mady Mesplé la Grand-Croix dans l'Ordre national du Mérite. Elle se tenait droite dans le fauteuil où elle était assise, digne, élégante dans une belle robe bleue, attentive, souriante, malheureusement silencieuse. Ses nombreux amis avaient espéré aussi, il y a bientôt un an – c'était le 20 juin 2019 – une dernière apparition publique pour la Première de la reprise de Werther au théâtre du Capitole, dont la représentation était donnée ce soir-là en son honneur et à son hommage. Sa fragilité due à la maladie ne lui avait pas permis.
« L'aventure de la mort se partage mal. On s'en approche sur la pointe des pieds, avec une fuite en soi, comme du bord d'un abîme. La mort, c'est d'abord plus personne, et puis une personne à qui l'on peut parler, enfin ! ». Cette phrase est d'une autre immense voix toulousaine, Claude Nougaro, qui évoquait la mort de son père Pierre, dans le livre « Toi, mon Père », paru en 2002.
Oui l'aventure de la mort se partage mal, mais ceux qui nous quittent ne disparaissent pas, ils nous établissent dans l'invisible, et dans une Présence, celle qui s'est levée, un beau matin le jour de Pâques. Dans le mystère du Christ mort et ressuscité, ce mystère dans lequel nous sommes plongés par le bain du baptême, toute mort devient naissance et passage. Passage avec Jésus ressuscité, de ce monde au Père. Les paroles de l'Écriture que nous venons d'écouter nourrissent cette espérance :
« Voici la demeure de Dieu avec les hommes ; il demeurera avec eux, et ils seront ses peuples, et lui-même, Dieu avec eux, sera leur Dieu. » disait le Livre de l'Apocalypse.
Et Jésus, dans l'Évangile, commençait son premier enseignement par ces neuf béatitudes que nous venons d'entendre, qui s'ouvrent chacune sur ce mot : « Heureux ! », Bonheur à toi. Comme une promesse. Ces béatitudes dessinent d'abord la figure de Jésus lui-même qui les prononce, mais Mady, à sa manière, a sûrement vécu ces béatitudes dont une seule suffit à ouvrir les portes du Royaume. Et nous sommes rassemblés pour en témoigner.
Mady n'a pas été épargnée par la vie. Sa fille Catherine meurt brutalement, en Australie, à 32 ans, d'une rupture d'anévrisme. Et la maladie de Parkinson sera diagnostiquée chez elle dès 1996. Mystère de la fragilité de toute vie humaine.
Je voudrais rappeler ici une conviction de l'Abbé Pierre, le fondateur des communautés Emmaüs. Il déclarait un jour que, pour lui, les hommes ne se partagent pas entre croyants et incroyants. Il y a, disait-il, des hommes et des femmes de communion, et puis les autres.
Les hommes et les femmes de communion, sans nul doute ce sont ceux qui, quelle que soit leur foi, tissent inlassablement les liens de la solidarité, de l'amour, de la fidélité, du don de soi. Et je veux souligner ici l'engagement et l'exigence d'elle-même qu'avait Mady Mesplé, d'abord pour les œuvres qu'elle interprétait, mais aussi pour ses partenaires et le monde de la scène lyrique, pour son public, pour les nombreux élèves à qui elle a transmis son art. On se souvient aussi qu'elle avait accepté en 2010 de devenir marraine de l'association France Parkinson
Les hommes et les femmes de communion, ce sont aussi les croyants qui savent voir les fils invisibles que Dieu tisse entre les hommes, et ceux qui relient le ciel et la terre. Mady est restée fidèle à la foi de son baptême, à la foi de l'Église, qu'elle avait reçue de ses parents, de sa famille et de ses éducateurs. Aussi longtemps qu'elle a pu elle a gardé sa place et sa présence parmi la communauté rassemblée le dimanche.
Les hommes et les femmes de communion ne sont-ils pas aussi ceux qui nous mettent en lien avec la beauté ? « Ce monde dans lequel nous vivons a besoin de beauté pour ne pas sombrer dans la désespérance. La beauté, comme la vérité, c'est ce qui met la joie au cœur des hommes, c'est ce fruit précieux qui résiste à l'usure du temps, qui unit les générations et les fait communier dans l'admiration ». Il me semble que ces paroles, que j'emprunte au pape Paul VI qui les prononçait en 1964, exprime ce qui fait toute notre émotion aujourd'hui. Car tout artiste vit une relation particulière avec la beauté, et Mady avait reçu le talent artistique de la beauté, une beauté qui était en elle suprême élégance et légèreté, oreille musicale absolue, incroyable maîtrise de trois octaves aux aigus de cristal. En un sens très juste, on peut dire que la beauté est la vocation particulière à laquelle le Créateur l'avait appelée. Ce talent, ce don divin, Mady a su le mettre par son art au service du prochain et de tous ceux que touchent la poésie et la musique.
Notre prière aujourd'hui sera de remercier Dieu notre Père pour tout ce que nous avons reçu à travers l'art de Mady Mesplé, et l'amour qui émanait d'elle. Et nous demandons à Dieu de lui pardonner toutes ses fautes (qui n'en commet pas ?) à cause de Jésus qui a donné sa vie pour nous, et de l'accueillir auprès de lui, auprès de ceux qui nous ont précédés, marqués du signe de la foi, dans la Jérusalem céleste que le Livre de l'Apocalypse décrivait symboliquement comme une fiancée.
Dans le paradis des musiciens et des artistes, Mady n'a-t-elle pas tant d'amis à retrouver ? (À commencer par le dernier arrivé : son ami et partenaire de scène, Gabriel Bacquié – autre grande voix lyrique si chère aux Toulousains !). Qu'elle y soit accueillie parmi le chœur des anges, des archanges et des séraphins.
Amen