Père Lizier de Bardies | 15 mars 2019
Bien chers frères,
Au moment de préparer cette homélie pour le premier dimanche de carême, j'ai pensé, plutôt que de commenter les trois tentations du Christ, qu'il convenait de revenir sur la condamnation pénale de l'archevêque de Lyon intervenue jeudi, condamnation avec sursis à 6 mois de prison pour non-dénonciation de mauvais traitement envers des mineurs, commis par un prêtre de son diocèse.
En annonçant qu'il allait rencontrer le pape François pour lui présenter sa renonciation à la charge d'archevêque de Lyon, Mgr Barbarin a commencé par exprimer sa compassion pour les victimes et leurs familles. Je voudrais moi aussi commencer par cela. Comme prêtre j'ai suffisamment reçu de confidences personnelles pour avoir appris que les blessures d'agression sexuelle sur des mineurs sont atroces, destructrices, parfois inguérissables, et – je l'ajoute en frémissant, pas rares. Les instances juridiques et sociales chargées de la protection de l'enfance évaluent à 7 000 le nombre de mineurs victimes de viol, chaque année, en France. Il nous faut avoir beaucoup de compassion pour les victimes, favoriser et écouter longuement leurs paroles, les accompagner sur un chemin de guérison et de reconstruction qui peut être long.
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La condamnation de l'archevêque de Lyon était peut-être inévitable dans le contexte médiatique dans lequel nous sommes : il porte la faute de ses trois prédécesseurs archevêques de Lyon, celle du clergé lyonnais, celle des familles des scouts, qui n'ont pas su sauver les jeunes, les écouter, dénoncer publiquement les faits ; il porte la faute de l'Église, qui par l'attitude de ses membres et de ses responsables, s'est protégée elle-même plutôt que protéger les victimes.
Cette condamnation a cependant surpris, et surpris par sa sévérité : rappelons simplement que le même tribunal de Lyon avait en août 2016 acquitté l'archevêque de toute intention d'obstruction de la justice ou de mise en danger de la vie d'autrui. Quand l'archevêque a appris les actes criminels de son prêtre (qui n'a toujours pas été jugé à ce jour), les faits présumés qui remontaient à plus de 25 ans étaient juridiquement prescrits, et la justice n'avait jamais été saisie, ni par les familles, ni par les victimes, ni par les nombreuses personnes qui n'ignoraient pas ces faits.
Dans ce deuxième procès qui s'est tenu en janvier dernier par citation directe des victimes, qui ne s'étaient pas senties suffisamment écoutées, la procureure de la République n'avait elle non plus requis aucune condamnation. Les juges en ont décidé autrement, et rendu un jugement autant politique que juridique : l'opinion a évolué depuis trois ans, le contexte médiatique a changé. La condamnation de l'archevêque a deux motifs : bien que les faits tous antérieurs à 1991 étaient prescrits il aurait dû dénoncer lui-même les actes présumés à la justice, au lieu d'encourager la première victime qu'il a rencontrée en 2014 à porter plainte (ce que celle-ci finira par faire plusieurs mois après) et mettre fin plus rapidement au ministère du prêtre en question, sans attendre l'avis qu'il avait demandé à Rome.
Pour ma part je crois ce qu'a déclaré plusieurs fois Philippe Barbarin devant les tribunaux « Je n’ai jamais, ô grand jamais, cherché à cacher ces faits horribles. Et encore moins à les couvrir. Qu’on parle d’une erreur d’appréciation, de jugement, discutons-en, mais couvrir de telles choses, non ».
Nous prions pour les victimes, prions aussi pour le cardinal Barbarin qui ne méritait peut-être pas autant d'opprobre, prions aussi pour toutes les personnes blessées par cette affaire, à commencer par les chrétiens lyonnais.
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Tous ces évènements m'ont aidé à comprendre la Lettre au Peuple de Dieu que le pape François a publiée de façon impromptue au cœur de l'été 2018, après de nouvelles révélations d'abus sexuel, d'abus de pouvoir et d'abus de conscience perpétrés par des prêtres pendant à peu près soixante-dix ans dans un diocèse d'Amérique du nord. Cette Lettre se réfère à une phrase de saint Paul dans sa Lettre aux Corinthiens : « Si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui ».
Certes la lutte contre ce drame affreux des abus sexuels dans l'Église et pour le soutien et l'accueil des victimes a été mise en œuvre sous le pontificat du pape Benoît XVI bien avant l'élection du pape François, mais ce dernier écrit dans sa lettre :
« Avec honte et repentir, en tant que communauté ecclésiale, nous reconnaissons que nous n'avons pas su être là où nous le devions, que nous n'avons pas agi en temps voulu en reconnaissant l'ampleur et la gravité du dommage qui était infligé à tant de vies. Nous avons négligé et abandonné les petits. La gravité des faits exige que nous réagissions de manière globale et communautaire.»
Et le pape d'inviter fermement le peuple de Dieu à lutter contre le cléricalisme dans l'Église, que la lettre du pape décrit comme « une manière déviante de concevoir l'autorité, une attitude qui annule non seulement la personnalité des chrétiens, mais tend également à diminuer et à sous-évaluer la grâce baptismale que l'Esprit Saint a placée dans le cœur du peuple de Dieu. »
Le cléricalisme peut être favorisés par des prêtres, évidemment, et cet avertissement je peux le prendre pour moi, bien sûr, et il m'interroge, croyez-le ; mais, insiste le Saint-Père, il peut être aussi favorisé par les laïcs : « tout ce qui se fait pour éradiquer la culture de l'abus dans nos communautés sans la participation active de tous les membres de l'Eglise ne réussira pas à créer les dynamiques nécessaires pour obtenir une saine et effective transformation. »
Le cléricalisme entraîne l'incapacité à écouter les victimes, à les croire, à les protéger, érige un mur de silence autour des abus de pouvoir, des abus de gouvernance, des abus de faiblesse, et des abus sexuels : le cléricalisme tend à protéger l'institution au lieu de protéger les victimes ou les victimes potentielles
Pour le pape il est essentiel que, comme Eglise, nous puissions reconnaitre et condamner avec douleur et honte les atrocités commises par des personnes consacrées, par des membres du clergé, mais aussi par tous ceux qui ont la mission de veiller sur les plus vulnérables et de les protéger. Et le pape François nous invite à demander pardon pour nos propres péchés et pour ceux des autres. La conscience du péché nous aide à reconnaitre les erreurs, les méfaits et les blessures générés dans le passé et nous donne de nous ouvrir et de nous engager davantage pour le présent sur le chemin d'une conversion renouvelée.
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J'ai pensé bon, en ce temps de conversion qu'est le carême, de nous remettre en mémoire ces paroles, et je les complète par une dernière citation :
« La pénitence et la prière nous aideront à sensibiliser nos yeux et notre cœur à la souffrance de l'autre et à vaincre l'appétit de domination et de possession, très souvent à l'origine de ces maux. Que le jeûne et la prière ouvrent nos oreilles à la douleur silencieuse des enfants, des jeunes et des personnes handicapées. Que le jeûne nous donne faim et soif de justice et nous pousse à marcher dans la vérité en soutenant toutes les médiations judiciaires qui sont nécessaires. Un jeûne qui nous secoue et nous fasse nous engager dans la vérité et dans la charité envers tous les hommes de bonne volonté et envers la société en général, afin de lutter contre tout type d'abus sexuel, d'abus de pouvoir et de conscience.
De cette façon, nous pourrons rendre transparente la vocation à laquelle nous avons été appelés d'être « le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain » (Conc. Oecum. Vat.II, Lumen Gentium, n.1).