Père Christian Teysseyre | 26 mars 2023
Le Seigneur Jésus et la vie, notre vie.
– Après avoir rencontré à la margelle de notre vie, le Christ, celui qui nous donne l'eau vive de la foi, colle à la samaritaine.
– Après avoir rencontré le Christ, notre lumière, celui qui ouvre les yeux de l'aveugle-né, et être descendus nous laver dans la fontaine baptismale, plongés dans l'eau qui lave, guérit et purifie,
– Voici que, tout près de Pâques, devant le tombeau de Lazare, nous nous tenons devant la mort et son œuvre, pour croire au Christ, notre vie pour toujours.
Nous avons là trois éléments du baptême : la lumière, l'e au et le tombeau. L'eau d'ailleurs symbolise aussi le tombeau comme passage de la mort à la vie.
Au matin de Pâques, nous serons devant un tombeau vide : signe et première annonce de la Résurrection du Christ, vainqueur de la mort.
Le tombeau de Lazare à Béthanie préfigure celui du Golgotha, puisque c'est devant le tombeau de Lazare que Jésus affirme à Marthe : « Moi, je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s'il meurt, vivra. Quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais »
Il lui demande « crois-tu cela ? ». Marthe confesse le Christ : « Je le crois ». Elle sait bien ce qu'est la mort, elle ne nie pas la mort, elle sait bien ce qu'il en est de son frère, elle ne fait pas semblant de se dire que son frère n'est pas vraiment mort. Pourtant elle adhère à l'affirmation de Jésus sans tout comprendre. Elle sait qu'avec le Christ, la mort perd son pouvoir. Tout comme sa sœur Marie qui a cette formulation riche de plusieurs significations : « si tu avais été là mon frère ne serait pas mort », c'est-à-dire : que là où est le Christ, la mort n'a plus de place, n'a plus d'espace.
Cette même confession de foi nous est demandée. A nous aussi, le Christ nous dit : Crois-tu cela ? Question qui a été posée au jour de notre baptême. Question posée tout au long de notre vie.
La foi concerne la vie de Dieu en nous, vie victorieuse sur la mort, sur toutes les formes de mort qui jalonnent notre existence dans un dépérissement et une perte de vie, jusqu'au dernier souffle et à la mort ultime, rupture irrémédiable de notre vie terrestre.
Le propre de l'homme est de se connaître mortel, d'inscrire sa fin dans la perspective de sa vie, de s'interroger sur son devenir après la mort et de se forger des représentations à ce sujet. Les civilisations les plus diverses et les plus éloignées témoignent de ce rapport de l'homme à la mort, dont témoignent notamment les cultes funéraires et les croyances.
Le Christianisme a apporté une approche nouvelle avec l'annonce de la résurrection du Christ et de notre propre résurrection. Saint-Paul établira un lien indissoluble entre les deux. « Avec le Christ, nous ressusciterons », « Si les morts ne ressuscitent pas, le Christ non plus n'est pas ressuscité, et si le Christ n'est pas ressuscité, votre foi est sans valeur, vide » (1 co 15,16).
Il est évident que la foi éclaire le sens de la vie dans son présent et dans son devenir (et pas seulement dans son présent)
Bien sûr la mort est une réalité qui ne peut être escamotée. On a vu des périodes où la mort a été terriblement envahissante, où la mort règne partout et envahit tout, l'art lui-même rend compte de ce choc que ce soit dans les images macabres du XIV siècle ou du XVIe siècle ou dans les danses macabres de cette même période.
La mort est un défi à la vie. C'est toujours une réalité jamais apprivoisée. Sa familiarité dans les siècles antérieurs ne conduisait ni à la refouler, ni à la banaliser.
Le message évangélique ouvre un espace à la vie. Le Christ est venu en ce monde pour communiquer la vie, pour donner la vie.
La mort des sujets, de tout individu et la mort comme entité n'ont pas le dernier mot. Le regard de Jésus nous tourne vers la gloire de Dieu, dans cette espérance de la mort vaincue, dans cette parole que Jésus adresse à Marie, l'autre sœur de Lazare « Ne te l'ai-je pas dit, si tu crois tu verras la gloire de Dieu ». Dieu se dit, se manifeste au cœur même de l'expérience du néant de l'homme. « Nul n'est trop loin pour Dieu…rien n'est perdu pour Dieu… rien n'est fini pour Dieu » comme le chante une hymne liturgique de carême (Point de prodigue).
Nos sociétés ont vu ces dernières années un changement radical de perspective, d'abord dans le déni de la mort (la mort escamotée), puis dans son refus (avec le corolaire étrange de la choisir). Les pratiques funéraires d'abord ont témoigné de ces changements[1], puis plus près de nous tout ce qui se débat autour de la fin de vie. On le voit à cette heure où l'on entend choisir sa mort pour refuser la mort alors qu'il s'agit de consentir à sa mort pour aller vers la vie. L'absence d'horizon et l'absence de sens ne sont pas sans expliquer cette mutation. Tel éminent sociologue, historien des religions, n'a pas de peine à constater que « La fin de vie est un des domaines où l'on voit comment les traces du christianisme disparaissent progressivement de nos sociétés, à la suite de la sécularisation des valeurs et de l'individualisation des existences ».[2] La mort remplacerait donc la vie dans la hiérarchie des normes. Étrange liberté. Étrange conquête qualifiée d'humanisme. Le Pape Jean-Paul II dénonçait il y a plus de trente ans nos complaisances avec ce qu'il appelait la culture de mort. Celle-ci ne cesse de s'étendre sous de multiples formes (sociales). On assiste paradoxalement à une fascination de la mort, compréhensible là où la vie s'est rétrécie à la valeur que nous lui accordons et aux conditions que nous lui définissons, toute relative.
La mort certes n'a pas de sens en elle-même, mais ce que nous vivons peut par contre lui donner un sens.
Le rapport au vivre et au mourir engage le chrétien. Cf. « Fais ce que tu voudrais avoir fait quand tu mourras » (phrase inscrite au-dessus de la porte de la sacristie de la cathédrale Saint-Étienne).
Nous ne pouvons pas nous contenter de nous vouloir chrétien, c'est à vivre avec le Christ, pour seulement le temps de la vie terrestre. Nous aspirons être pour toujours en Dieu, et la promesse du Christ est bien là : « celui qui croit en moi, vivra ». La vie jaillira de la mort.
La foi touche à ce que l'on croit, mais en premier lieu en qui l'on croit. En d'autres termes, est en jeu non seulement l'objet de la foi : « je crois à la résurrection des morts » mais celui en qui nous mettons notre foi, celui qui est la vie, notre vie, le Christ, notre chemin !
L'apôtre Paul nous dit comme il l'écrit aux chrétiens de Rome : « l'Esprit qui a ressuscité Jésus habite en nous … l'Esprit vous fait vivre ». Cette certitude Paul la réaffirme dans son adresse aux romains[3]. Dès aujourd'hui, vivons en ressuscités.
Osons espérer en la vie. Quel regard portons-nous sur notre finitude et sur la mort de nos proches quand celle-ci survient ? comment servons-nous la vie ? comment nous mettons-nous au service de la vie ? Il y a mille et une manières d'agir pour cela.
Le Christ a cette parole ultime au sujet de Lazare : « Déliez-le et laissez-le aller».
Qu'est ce qui sera délié dans nos vies ? C'est sans doute une bonne question en ce temps de Carême.
Qu'est ce qui sera délié des bandelettes qui enferment et emprisonnent les vies ?
Ouvrons-nous au surgissement de la vie du Christ.
En notre monde, soyons des porteurs de vie.
[1] Notamment : la consolation des vivants endeuillés est venue remplacer l'accompagnement du défunt dans l'espérance d'un bonheur sans fin (le devenir du défunt)
[2] Philippe Portier, sociologue, historien des religions et directeur d'études à l'École pratique des hautes études
[3] « Et si l'Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ d'entre les morts, donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous » Rom. 8,11).