Père Lizier de Bardies | 7 novembre 2020
Chaque année, la fête de la Toussaint nous disperse. Chacun retrouve le chemin de l’église de sa commune d'origine, et celui du cimetière des tombes familiales. Ce temps est celui du souvenir et celui de la fidélité. Souvenirs familiaux de ceux qui nous ont précédés, qui nous ont portés sur leurs genoux, qui ont bercé nos coeurs d’adolescents, souvenir de ceux qui ont façonné beaucoup de ce que nous sommes. Dans les circonstances actuelles beaucoup n'ont pas eu la possibilité d'aller se recueillir, selon la tradition, devant les tombes de leur famille, marquer notre souvenir de ceux dont la mort a ouvert une blessure définitive en nos coeurs, déposer chrysanthème ou azalée, ou allumer un lumignon. Notre prière, seule, les rejoint.
Quelle est une prière vraiment chrétienne devant la mort ? Comme le dit un passage de la Lettre aux Hébreux : « le Christ n'est pas incapable de partager nos faiblesses ; en toutes choses, il a connu l'épreuve comme nous ». De même que Jésus a pleuré devant la tombe de son ami Lazare, notre prière peut être mouillée de larmes. Mais, et c'est ici saint Paul qui parle : « Ceux qui se sont endormis, Dieu, à cause de Jésus, les prendra avec lui… ». C'est cette espérance qui nourrit notre prière : accueille, Seigneur, auprès de toi ceux qui ne sont plus auprès de nous. Purifie-les de tout ce qui peut les séparer de toi, qu'ils entrent dans la Vie, à cause de Jésus, par Lui, avec Lui et en Lui…
C'est pourquoi l'Église continue à célébrer des messes pour les défunts, particulièrement à l'occasion de leurs funérailles, appliquant ainsi à leur salut l'unique sacrifice du Christ.
Il est très important de ‘délimiter' le lieu du souvenir, de marquer le lieu de la séparation : ‘ici s'achève ta vie parmi nous…', lieu que nous pouvons honorer, respecter, entretenir, où nous pouvons nous rendre dans un devoir de mémoire, mais qu'il nous faut aussi savoir quitter. « Laisse les morts enterrer leur morts » dit aussi Jésus quelque part. Car la première mémoire que nous devons aux défunts qui ont marqué et souvent façonné notre vie, c'est de ne pas habiter les cimetières (où eux non plus, d'ailleurs, n'habitent pas), mais bien d'accomplir nous aussi notre vie : c'est leur part de tâche qui nous permet de poursuivre la nôtre. Jusqu'au jour où, comme eux, nous entrerons dans notre accomplissement.
Comme le dit le roi David, apprenant la mort du petit enfant qu'il a eu de Bethsabée, la femme d'Ourias, le Hittite : « Il ne reviendra pas vers nous, désormais c'est nous qui allons vers lui. » Oui, nous allons vers ceux qui sont entrés avant nous
dans leur jeunesse éternelle, et ceux-ci peuvent prier pour nous comme nous pouvons intercéder pour eux, comme un des fruits de la mystérieuse communion des saints. L'Église, Corps du Christ, unit en elle les vivants et les morts, et c'est dans la communion eucharistique que nous nous unissons le plus à nos défunts.
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« Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement », dit une maxime de La Rochefoucauld. Et pourtant la mort de nos proches, de ceux qui nous ont aimés et que nous avons aimés, nous conduit à envisager la nôtre. À la souffrance de la séparation s'ajoute l'effroi de la perspective de notre propre fin, que beaucoup aujourd'hui souhaitent pour eux-mêmes inattendue, imprévue et inconsciente, en un mot : sans angoisse. Les paroles de Paul que nous entendions sont notre consolation : « Vous n'avez pas reçu un esprit qui fait de vous des esclaves et vous ramène à la peur ; mais vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils ; et c'est en lui que nous crions « Abba ! », c'est-à-dire : Père ! »
Si nous craignons, à l'heure de notre fin, de n'avoir pas la force de prier comme le vieillard Syméon : « Maintenant ô Maitre souverain, tu peux laisser s'en aller ton serviteur dans la paix, selon ta parole…», nous pouvons méditer ces quelques lignes de la belle Lettre que le pape Jean-Paul II adressait aux personnes âgées en 1999, alors que la maladie de Parkinson handicapait déjà beaucoup ses mouvements :
« J'éprouve une grande paix quand je pense au moment où le Seigneur m’appellera : de la vie à la vie ! C’est pourquoi monte souvent à mes lèvres sans aucun sentiment de tristesse, une prière que le prêtre récite après la célébration eucharistique: « à l’heure de la mort, appelle-moi, et ordonne-moi de venir à toi ». C’est la prière de l’espérance chrétienne, qui n’ôte rien à la joie de l’heure présente, tandis qu’elle confie le lendemain à la protection de la divine bonté.
» Ordonne-moi de venir à toi » : c’est là le désir le plus profond du coeur humain, même en celui qui n’en a pas conscience. Donne-nous, ô Seigneur de la vie, d’en prendre une conscience lucide et de savourer toutes les saisons de notre vie comme un don riche de promesses futures ! Fais-nous accueillir ta volonté avec amour, en nous remettant chaque jour entre tes mains miséricordieuses ! Et lorsque viendra le moment du « passage » ultime, accorde-nous de l’affronter avec une âme sereine, sans rien regretter de ce que nous laisserons. Car te rencontrer, après t’avoir cherché longtemps, ce sera retrouver toute valeur authentique expérimentée ici sur la terre, avec tous ceux qui nous ont précédés sous le signe de la foi et de l’espérance. »
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