Père Christian Teysseyre | 5 mars 2023
Quitte ton pays. Le chemin de l'alliance demande de quitter un pays connu pour aller vers un pays promis, inconnu. Aller par un chemin que Dieu ouvre.
C'est l'itinéraire d'Abraham. C'est l'itinéraire de tout croyant. C'est aussi le nôtre.
En effet cet itinéraire, comme le diront saint Paul et l'auteur de la Lettre aux Hébreux, résume le chemin de la foi.
Cette dimension du chemin, d'aller, de partir est à la naissance de la foi juive et aussi d'une certaine manière du Christianisme.
C'est toute l'histoire d'Israël d'être en exode permanent, d'être un peuple itinérant, longtemps sans terre, sans sanctuaire, sans temple. Dieu ne cesse pas de marcher avec son peuple. Un penseur contemporain, d'origine juive, sans se rattacher à la foi juive, a remarquablement décrit cela dans une histoire des monothéismes intitulée « Dieu un itinéraire ».
Abraham, Moïse sont des itinérants conduits par Dieu. Dieu n'a d'autre d'autre demeure que d'être avec son peuple.
La foi est un long chemin à parcourir.
- Le chemin, l'itinérance, le pèlerinage ouvrent à une transformation qui s'effectue dans le temps.
- Le sanctuaire se présente comme le but à atteindre, un espace pour Dieu, un lieu sacré que l'homme cherche à atteindre
Il ne faut pas être surpris que le judaïsme et le christianisme ait privilégié la perspective temporelle du chemin, prioritairement à l'espace et au sanctuaire. Le prologue de Jean est à cet égard éclairant quand il nous dit que Dieu a établi sa tente parmi nous, ce que l'on traduit par un terme plus générique de demeure. Une tente n’est pas un temple ou un palais. Dieu s'est fait nomade et itinérant avec son peuple.
Jésus-Christ ne cessera pas dans sa Pâque d'habiter le temps des hommes.
Dans le pèlerinage, dans le but assigné, ce qui importe, c'est le chemin parcouru et ce qu'on devient en chemin. Le regain des pèlerinages et des chemins de pèlerinages aujourd'hui atteste cette dimension de nature religieuse, même si elle ne se rattache éventuellement à aucune foi chez ceux qui se mettent en route. Les pèlerins de Compostelle sont les témoins de ce regain.
Il est utile de préciser ce qui distingue l'exil de l'exode.
- L'exil caractérise ceux qui ont quitté leurs terres, chassés, bannis ou partis volontairement par nécessité économique ou politique. La référence est la terre perdue. Les hommes et les femmes exilés gardent la nostalgie de la terre laissée.
- L'exode provient d'un départ précipité, où l'on est lancé sur une route éperdue, sans objet, et incertaine. Le chemin sans fin est toujours là se déroulant. La référence est le chemin devant soi, sans espace ni lieu.
Dans l'histoire, des hommes connaissent l'exil, d'autres connaissent l'exode.
Ces deux termes ont des résonances propres
Abraham et Moïse sont des hommes de l'exode, du chemin parcouru ; ils vont dans la foi vers l'inconnu, même si paradoxalement Moïse passe d'une situation d'exilé en Égypte à un exode habité par une promesse d'une terre. Il faudra du temps, un long chemin pour l'atteindre
Jésus lui-même au moment de la transfiguration sur le mont Thabor fait entrevoir le sens du chemin pascal, passant par la mort.
L'évangéliste Luc – ce que ne fait pas Mathieu – précise que Moïse, Élie et Jésus parlaient ensemble de son départ ou « de son exode », c'est-à dire de son départ, sa passion et de sa gloire tels qu'il les donne à entrevoir à ce moment.
Dans l'exode, un assentiment peut être possible, donné. Alors que l'exil oblige davantage à la rupture.
Nous avons entendu l'ordre de Dieu à Abraham, « Quitte ton pays ». Abraham se met en route.
Cela ne veut pas dire que l'exode se réalisera sans arrachement et sans épreuve. Cela ne va pas dire que l'obéissance ne connaîtra pas de questionnement, d'adversité
Le Christ lui-même a vécu cet arrachement et cette rupture avec son pays : la Galilée, avec son village, Nazareth, sa famille, ses liens, pour se faire itinérant. Il est allé par les chemins à la rencontre des hommes annoncer le Règne de Dieu. L'heure de la transfiguration va constituer un moment intense, qui projette une lumière sur ce qui va venir. L'ultime arrachement sera celui de sa vie, sa passion et sa glorification.
Nous aussi, nous sommes en chemin. Par quels chemins allons-nous ?
– Il y a les chemins que la vie nous donne de parcourir,
chemins de chacun selon son âge, le moment de l'existence, ce qui a été donné à vivre, ce qui a été traversé.
Qu'en faisons-nous ? Que devenons nous de ce fait ? Qu'est-ce qui en découle ?
– Il y a le chemin que le Christ parcourt non seulement avec nous, mais en nous.
Son chemin est notre vie. Il est le chemin comme il nous le dit.
Ce chemin est parcouru du fait d'une parole dite, d'une parole écoutée, obéie. C'est bien ce qui ressort d'Abraham, de Moïse, d'Élie, du Christ.
Moïse et Élie résument la Loi et les prophètes les deux grands courants de l'Alliance. Jésus les accomplit, les résume et les dépasse. La loi et les prophètes s'effacent devant Jésus. L'évangéliste précise : « Il ne resta que Jésus seul ». Seul nous reste le chemin du Christ.
Par sa vie, sa personne, sa parole, « il fait resplendir la vie et l'immortalité par l'annonce de l'Évangile », comme nous le dit l'apôtre Paul dans sa lettre à Thimoté.
Quels chemins nouveaux prendrons-nous à la suite du Christ ?
À commencer par ce temps de Carême, dans cette route vers Pâques ?
Se mettre en route demande de se mettre à l'écoute d'une parole qui nous pousse à partir, à laisser notre sédentarité, à nous laisser déranger, à nous quitter.
Que quitterons-nous pour faire place à celui qui vient dresser sa tente en notre humanité.
Nous laisserons-nous habiter et conduire par une certitude intérieure et une promesse de vie et de bonheur, par la bénédiction de Dieu ?
Que le chemin de nos vies aujourd'hui soit le lieu et le temps de notre conversion, le lieu et le temps du choix de Dieu, de l'écoute de la voix du Père, pour apprendre à devenir avec le Christ les fils et les filles bien-aimés du Père.
Avançons avec confiance sur le chemin pascal du Christ.