Père Lizier de Bardies | 14 mai 2021
ASCENSION ÉCOUTER LA PAROLE 13 MAI 2021
L'Ascension de Jésus ressuscité qui « fut enlevé au ciel et s'assit à la droite de Dieu » – écrit Marc – s'inscrit dans la lumière de Pâques, ou plutôt dans cet élan unique de surgissement de Jésus depuis les profondeurs du tombeau et de la mort, qui le conduit à « passer, selon les mots de saint Jean, de ce monde au Père… » Le même évangile selon saint Jean rapporte ces paroles du ressuscité à Marie-Madeleine : « Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu ».
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Rappelez-vous, frères e soeurs, c'était l'année dernière : nous n'avons pu célébrer les fêtes pascales, ni l'Ascension dans notre église.
Pendant toute la période du confinement beaucoup de prêtres et de paroisses ont déployé des prodiges d'ingéniosité et de ténacité pour rejoindre leurs ouailles par les réseaux numériques. Combien de curés ne se sont-ils pas astreints à apprendre à manier facebook, YouTube, ou autre zoom, afin que les paroissiens puissent suivre depuis chez eux et sur leurs écrans les messes que les pasteurs célébraient seuls dans leur église ou leur presbytère, face à quelque opérateur qui tenait la caméra. Des temps d'adoration virtuelle ont été aussi proposés via des images en plan fixe, sur le Saint-Sacrement exposé. Il s'agissait de donner à voir, donner à voir la messe, donner à voir l'hostie, la vue étant convoquée à la prière…
Tout cela a fait beaucoup de bien, et a permis à beaucoup de fidèles de se sentir accompagnés, soutenus, et même rejoints par leurs prêtres, même si l'absence de la communion autre que spirituelle comme de la présence réelle de l'assemblée marquait de plus en plus au fil des jours et des semaines.
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Tout cela est – redisons-le – bel et bon, et il y a longtemps que les messes dominicales (sans parler des grands rassemblements comme par exemple les Journées mondiales de la jeunesse) retransmises depuis des décennies sur les écrans de monde entier rendent de singuliers services aux chrétiens empêchés de se joindre à l'assemble le jour du Seigneur. Mais cette omniprésence du dieu-écran ne doit pas nous égarer : le christianisme est religion de la parole et en aucun cas religion de la vue ou de la vision, et c'est d'abord cette Parole qu'il faut transmettre et annoncer, via aussi toutes les possibilités qu'offrent les réseaux numériques, bien plus que des images. C'est l'ordre de Jésus dans cet évangile : « Allez dans le monde entier. Proclamez l'Évangile à toute la création ». Et Marc résume donc l'activité des apôtres en ces termes : « Quant à eux, ils s'en allèrent proclamer partout l'Évangile. » Aux Ephésiens Paul écrit que les dons que Dieu a faits aux hommes, ce sont les hommes de la Parole : « les Apôtres, et aussi les prophètes, les évangélisateurs, les pasteurs et ceux qui enseignent. »
– La foi naît de l'audition, écrit le même saint Paul aux Romains. L'image conduit à l'idole.
Dans la Bible, Dieu se donne à entendre, il se révèle par sa parole, il est le Nom à invoquer, mais il ne se donne jamais à voir, et le premier commandement que recevra Moïse sur le Sinaï comportera cette clause : « Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre. » Car la parole, précisément, ‘dit' quelque chose, elle interpelle, elle établit une relation, elle propose une alliance ; on peut l'écouter ou la rejeter, lui obéir ou la nier, mais la parole ne se laisse ni saisir ni enfermer. L'image, elle, ne ‘dit' rien, elle enferme, elle capte et hypnotise, on peut mette la main sur elle, la posséder. Elle est immobile, inerte, nie toute relation car elle renvoie à soi-même. Elle est mortifère.
La Parole, elle, est créatrice, elle est Esprit et elle est Vie.
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« Soyez sans crainte, allez annoncer à mes frères qu'ils doivent se rendre en Galilée : c'est là qu'ils me verront. » avait, certes, dit le Ressuscité aux femmes accourues au tombeau au matin de Pâques. Mais la vision ne peut être que décevante : « Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes… » Et les évangélistes d'insister, d'ailleurs, sur ce fait étrange que les apôtres qui voient Jésus ressuscité ne le reconnaissent pas. Ne disparaît-il pas aux yeux des disciples d'Emmaüs après qu'il s'est fait reconnaître à la fraction du pain ? « Il vit, et il crut » écrit saint Jean »… car ce qu'il vit en entrant dans le tombeau, c'était qu'il était vide.
Oui : « Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »
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« Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder… » Voilà la parole que nous méditerons en ce jour de l'Ascension de Jésus auprès du Père.
Être disciple de Jésus ne consiste pas à scruter le ciel. Et la vision béatifique en paradis, qui comblera tous nos désirs, est hors de saison. Jésus n'a rien écrit, rien laissé à voir, transmis aucune image à adorer. Ce qu'il laisse est invisible pour les yeux : la Parole ; et l'Esprit qui l'inspire, aussi invisible, puissant et insaisissable que le vent… Avec tout cela Jésus est avec nous « tous les jours, jusqu'à la fin du monde ». Particulièrement lorsque deux ou trois sont réunis en son nom. Le rassemblement dominical est irremplaçable.
Si les prodigieux moyens de communication sociale donnent des moyens inédits à l'annonce et la diffusion de l'Évangile, il me semble que c'est au service de la parole annoncée, proclamée, transmise, écoutée et gardée qu'il faut les mettre. Car Dieu se donne bien comme image à chercher et à contempler, mais ce n'est pas sur les écrans du continent numérique. N'est-ce pas plutôt en ton frère, et dans ton coeur, là où la Parole elle-même se fait lumière, qu'il se laisse trouver ?
Père Lizier de Bardies