| 14 mai 2020
Après la confirmation donnée le 28 avril, par le Premier Ministre, du processus de déconfinement général annoncé pour le 11 mai, mais le maintien de l'impossibilité de tout rassemblement dans les lieux de culte au moins jusqu'au 2 juin (mardi de la Pentecôte), des voix épiscopales courroucées se sont fait entendre : « relégation de la liberté de culte à la dernière roue du carrosse de la nation » ; la messe traitée « comme une activité secondaire, voire ludique… il en va de la santé de notre âme ! » ; indignation « à l'idée que les cultes ne puissent reprendre avant le 2 juin prochain… Cette interdiction prolongée du culte va entamer gravement notre confiance en ceux qui nous dirigent. » ; etc. Le Président de la Conférence des évêques de France, dans une réaction plus maîtrisée, « prend acte avec regret de cette date qui est imposée (…) à toutes les religions de notre pays »
Tout cela, et le temps de confinement contraint dans lequel nous sommes installés depuis huit semaines, nous conduit à nous interroger sur la place du culte dans notre vie, disons du rassemblement dominical autour de la Table de la Parole et du Pain Rompu.
*Quelle est la place de la messe dans l'architecture de la bonne religion catholique personnelle et portative de chacun ? L'essentiel de ma vie chrétienne se joue-t-il quand j'entre dans mon église paroissiale, ou au contraire quand j'en sors ? Ou plutôt : quel lien établis-je entre l'office dominical auquel je m'efforce d'être fidèle, et la « vraie vie », sur laquelle je serai d'ailleurs jugé ?
Les lectures bibliques de ce cinquième dimanche nous donnent quelques pistes de réflexion.
Prenons l'Évangile de ce jour tout d'abord. Qu'est-ce que Jésus demande à ses disciples ?
de croire en lui : « Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. »
de le laisser partir, et revenir les emmener pour être auprès de lui : « Pour aller où je vais, vous savez le chemin. »
il révèle enfin que celui qui croit en lui fera les oeuvres qu'il faites, lui, Jésus : « Il en fera même de plus grandes »
La question devient alors : notre participation à la messe est-elle nécessaire pour croire, pour être emmenés par Jésus auprès de lui, et pour faire les oeuvres de Jésus ? » Nous pouvons noter au passage qu'un peu auparavant, dans le même épisode – nous sommes au cénacle, au cours de la dernière cène – Jésus a montré aux disciples à faire les mêmes oeuvres que lui en leur lavant les pieds : « C'est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j'ai fait pour vous ».
Pour évoquer les oeuvres que Jésus veut faire en nous, ces oeuvres qui sont les oeuvres mêmes que le Père fait en Jésus, Pierre, dans la seconde lecture, emploie un vocabulaire que nous risquons de prendre à contre sens : il invite les croyants à qui il s'adresse, dans sa première lettre, « à présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus Christ ». Il nous faut nous arrêter sur le terme ‘sacrifice', car c'est lui qui va faire le lien entre notre vie et notre participation à l'eucharistie.
*Jésus, dans sa douloureuse passion et sa mort sur la croix a le premier offert un sacrifice spirituel agréable à Dieu. Or la messe est l'actualisation pour notre bien et notre salut de cet unique sacrifice. Encore faut-il bien comprendre ce terme. Dans le langage courant, il a pris une signification négative. ‘Sacrifice' est devenu synonyme de ‘privation' (nous faisons le sacrifice de notre liberté de circulation pendant ce confinement). Mais dans la langue de l'évangile le mot ‘sacrifier' ne veut pas dire ‘supprimer' ni ‘renoncer à'. ‘Sacrifier' signifie simplement ‘rendre sacré', comme ‘purifier' signifie ‘rendre pur', ou ‘simplifier' ‘rendre simple'. Loin d'exprimer une mutilation ou une destruction le terme exprime par lui-même un accroissement d'être et de valeur.
D'ailleurs, même si le sacrifice du Christ s'accomplit dans l'effusion violente de son sang par la méchanceté des hommes, ce n'est pas à proprement celle-ci qui fait de la mise à mort de Jésus un sacrifice, mais bien la docilité et l'obéissance à Dieu que Jésus fait dans le don de lui-même, et dans sa parfaite et totale solidarité avec les hommes : « Ceci est mon sang, le sang de l'Alliance, versé pour la multitude en rémission des péchés. »
Et, comme le développe l'auteur de la Lettre aux Hébreux, le sacrifice du Christ met fin aux sacrifices du Temple et aux cultes anciens. Au lieu d'une sanctification négative, réalisée au moyen de séparations rituelles, dans le culte juif, le chrétien est appelé à une sanctification positive, obtenue dans l'existence concrète, à l'image du sacrifice du Christ. Désormais la religion ne peut plus se concevoir comme un ensemble de pratiques extérieures qui s'ajoutent à la vie. C'est dans l'existence même que la religion doit maintenant s'établir. Le sacrifice du Christ n'a pas consisté en des rites extérieurs. Le Christ a pris son existence même, la transformant grâce à la prière en une offrande parfaite présentée à Dieu pour être utile aux hommes.
*Les chrétiens doivent de même prendre leur existence et en faire une offrande à Dieu. Ils doivent se présenter eux-mêmes à Dieu pour être mis par lui au service de leurs frères. Le sacrifice chrétien, le culte chrétien n'est pas autre chose que la transformation de l'existence au moyen de l'amour qui vient de Dieu. Il ne s'agit pas d'enlever quelque chose ni de détruire, il s'agit d'accueillir une plénitude divine et une perfection de relation.
Le sacrifice chrétien, finalement, n'a pas un sens négatif, mais un sens extrêmement positif. C'est pourquoi Pierre peut écrire sans hésiter que tous les chrétiens sont appelés à « devenir le sacerdoce saint et présenter des sacrifices spirituels, agréables à Dieu. », accomplissant ainsi la parole donnée par Dieu à Moïse : « Vous serez pour moi un royaume de prêtres, une nation sainte. » Ex 19, 6
*Mais alors, si tous les chrétiens sont prêtres, si les sacrifices qu'ils ont à offrir sont des sacrifices spirituels, la messe du dimanche – l'offrande du sacrifice du Christ – reste-t-elle nécessaire ? Avons-nous tant besoin du sacerdoce des prêtres, qui offrent le sacrifice – la messe – au nom du peuple de Dieu ? La première lecture, tirée du récit des Actes des Apôtres, nous aide à formuler une réponse à cette dernière question.
Selon Luc, si les Sept ont été institués, c'est pour que les apôtres puissent rester « assidus à la prière et au service de la Parole ». Ce nécessaire service de la Parole associé à la prière désigne évidemment celui de la liturgie, prise au sens large. Service essentiel et indispensable car le Christ ne se présente pas comme un modèle (la grande erreur de beaucoup de chrétiens) – modèle que nous sommes d'ailleurs radicalement incapables d'imiter, car nous sommes foncièrement pécheurs – mais se présente comme notre frère et notre Sauveur, qui veut vivre en nous pour que nous vivions en lui. C'est seulement en s'unissant au Christ – c'est l'oeuvre de l'Esprit-Saint – et en s'offrant avec lui, que les hommes peuvent devenir capables d'élever leur vie jusqu'à Dieu, et de vivre dans une charité authentique envers leurs frères. Pour avancer vers une communion plus réelle avec Dieu et entre eux, ils ont un besoin absolu du Christ prêtre. Ils ont absolument besoin du sacerdoce ministériel et du sacrement ; ils ont donc absolument besoin de la messe du dimanche, et de la communion eucharistique.
*Au bout du compte, les évêques ont-ils eu raison de s'insurger et d'interpeller les autorités civiles avec véhémence ? La victimisation est hors sujet, me semble-t-il, et l'argumentation sur le besoins de nos âmes est incompréhensible à César.
Mais n'est-ce pas, au fond, à nous, chrétiens, que nos évêques s'adressent, pour nous avertir de ne pas nous assoupir ni nous habituer à déserter l'assemblée dominicale, même pour suivre la messe à la télévision ?
Sans la messe du dimanche, sans la communion eucharistique nous ne pouvons pas vivre, vivement la réouverture de nos église, vivement que les chrétiens puissent reprendre le chemin de l'eucharistie !