Père Christian Teysseyre | 29 janvier 2023
Qui nous fera voir le bonheur ?
Jésus s'est bien souvent posé en maître de sagesse en indiquant qui est heureux et comment se caractérise le bonheur. Il rejoint là la requête profonde de l'être humain et toutes les écoles de sagesse qui au long des âges ont enseigné l'art de trouver le bonheur.
Jésus s'y réfère très souvent aussi bien dans son enseignement, dans les réflexions qu'il livre lors d'un dialogue, d'une circonstance, d'un questionnement. Que de fois de manière spontanée, il poursuit en déclarant « heureux ceux qui ». Ici dans le passage que nous avons entendu, que l'on nomme le Béatitudes, nous avons un ensemble organisé, construit, didactique, aux formules frappantes, nourries dans la méditation et la prière, dans la contemplation de ce que le Père accomplit dans le cœur de l'homme, ce que Jésus nomme le Règne de Dieu. Jésus nous parle de bonheur. L'homme est fait pour le bonheur.
La première chose qui retient notre attention, c'est ce qui nous est donné à comprendre en écoutant Jésus parler du bonheur, On peut retenir quatre aspects :
– Jésus se préoccupe du bonheur des hommes. C'est une perspective essentielle. Il parle aussi bien d'un bonheur présent, que d'un bonheur futur et même d'un bonheur éternel.
Nous sommes appelés au bonheur.
– Jésus est maître de sagesse. Il indique les voies pour trouver le bonheur, rejoignant toute la tradition sapientielle biblique, que l'on trouve dans les livres de Sagesse ou les psaumes. Prêtez attention au nombre de fois où l'on lit « heureux celui »…ainsi par exemple : « Heureux celui qui marche selon la voie du Seigneur, qui murmure sa loi jour et nuit ». Jésus s'adresse ainsi à tous, aux foules qui viennent l'écouter comme à chacun, à ceux qui viennent à sa rencontre pour l'interroger : que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ?
– Le bonheur est une entreprise. Il ne vient pas sans nous. Il est un chemin à prendre. En ce sens il réclame un art de vivre. Il est ce que l'on cherche et ce que l'on trouve, ce qui devient notre vie, ce que l'on engage. Il s'agit de trouver un bonheur durable et profond et non immédiat, fugace et fragile comme tant de réalités que nous avons coutume d'appeler bonheur. Là encore la Bible nous invite à chercher le vrai bonheur. C'est une différence qu'il importe de faire. Oui, Il importe de ne pas nous tromper.
Un documentaire récent intitulé Happy se proposait de faire entrevoir la dictature du bonheur sur les réseaux sociaux dans un jeu de miroir où chacun se complait et certains commentateurs soulignaient la confusion pourrait-on dire malheureuse entre plaisir et bonheur.
– Enfin, nul ne connaît son bonheur, nul ne sait dire son bonheur. Nous avons besoin que le bonheur nous soit dit, constaté, qu'il nous soit déclaré, comme Élisabeth à Marie lors de la Visitation : « Heureuse es-tu, toi qui as cru aux paroles qui te furent dites de la part du Seigneur ». En permanence la Bible se fait déclarative : Heureux l'homme… Jésus ne trace pas seulement le chemin du bonheur. Il le déclare dans la vie des personnes. Il leur révèle leur bonheur. Les conférences de ND de Paris conduites par le cardinal Lustiger en 2004 avaient pour thème : « qui nous fera voir me bonheur ». Question que chacun porte.
Pour laisser là ce premier commentaire, on peut relire la Bible en s'attachant à considérer à ce qui est dit du bonheur. Une lecture thématique est un angle de lecture instructif.
Nous n'abordons pas ce qu'il en est de la joie qui est d'un autre ordre, relevant d'un sentiment qui vient soudainement en nous, nous envahit, nous rencontre, nous illumine et nous bouleverse en profondeur. Moment intense accueilli.
Le bonheur ne relève pas d'un sentiment, mais du chemin parcouru conduisant à une paix du cœur et une harmonie, cherchés et trouvés, d'un état caractérisant ce que nous sommes. Si la joie est rayonnante, le bonheur se partage et se donne.
Il y a ensuite le spécifique du chemin de Jésus et l'énoncé de chacune des 8 béatitudes
Les lectures de cette messe nous invitent implicitement à nous attacher à ce qui est premier. La pauvreté et l'humilité sont la porte d'entrée du bonheur.
– « Heureux vous les pauvres », ou « Heureux les pauvres de cœur » dans l'évangile de Mathieu
– « Cherchez le Seigneur vous tous les humbles du pays, cherchez l'humilité » (livre de Sophonie).
La pauvreté appelle le détachement, l'expérience du manque… tout cela crée une disponibilité et une liberté. Que la pauvreté vienne des conditionnements de la vie, avec des manques assumés, consentis sans rancœur, ou qu'elle soit adoptée comme choix et attitude de vie, la pauvreté est libératrice, ouvrant à la joie et à la fraternité, et même à la générosité, au don. Saint-François d'Assise témoigna de cela d'une manière étonnante. On peut dire que toutes les autres béatitudes énoncées par Jésus ont celle-ci pour source, qu'il s'agisse de la compassion et la miséricorde, de la soif et l'engagement pour la justice, de la pureté du cœur, de l'attachement au Christ jusqu'à supporter les épreuves pour lui, à cause de lui.
L'humilité renvoie à notre humble condition, reconnaissant ce que nous sommes en vérité, ce que nous recevons, ce que nous devenons par grâce. Elle consiste à savoir de qui nous nous recevons, loin de toute enflure, démesure et toute-puissance. Un cœur suffisant n'a de place pour rien, ni pour Dieu, ni pour les autres, ni d'ailleurs pour sa vraie vie. Le pharisien dans sa prière au temple nous l'indiquait complaisamment dans sa suffisance : « Je te remercie de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, … « moi je ». Précisément Jésus nous donne le 2publicain, pécheur, comme exemple d'humilité. L'humilité ouvre sur la confiance en Dieu. Elle nous fait quitter le regard flatteur ou découragé que l'on peut porter sur soi pour se tourner vers Dieu, s'ouvrir à sa miséricorde, ce qui change le cœur.
Quelle est la vérité et la consistance du bonheur ? Pouvons-nous nous satisfaire d'un bonheur passager ? Nos bonheurs humains ne durent qu'un instant. Le cœur humain aspire à un bonheur durable, profond, en plénitude et sans fin.
D'où le langage de récompense véhiculé par la pensée juive comme par Jésus lui-même … langage qui nous est devenu étranger. Or quand Jésus décline ces huit facettes du bonheur, il souligne tout à la fois un accomplissement futur pour les six premières béatitudes et paradoxalement un présent, un maintenant de joie et d'accueil du monde de Dieu pour les deux dernières paroles qui elles renvoient à l'épreuve et la persécution subis.
Là est sans doute le fond de la question pour nous chrétiens en ce temps où tout est fragilisé et conduit par l'éphémère : qu'est-il le plus avantageux : un bonheur si vite disparu, ou un bonheur sans fin ? Quelle réponse voulons-nous donner ?
L'éternité vient s'inscrire dans le quotidien de nos vies et habiter notre présent.
Les béatitudes ne sont pas un discours, mais le chemin par lequel chacun mérite de se trouver. Le bonheur cesse alors d'être une abstraction, mais ce qu'il nous est donné de découvrir du monde de Dieu en nous, et ce qu'il nous est donné d'être.