Père Christian Teysseyre | 28 mai 2023
L'Esprit survient… Mais que faut-il pour que le message évangélique soit entendu dans toutes les langues, par tous et chacun ?
Pâques et Pentecôte forment les deux faces du même mystère : la Vie du Christ ressuscité manifestée et diffusée dans le monde.
L'évangéliste Jean nous indique que la Pâques du Christ porte déjà le don de l'Esprit et la mission d'annoncer la paix que le Christ communique aux hommes : « Recevez l'Esprit Saint. À qui vous remettrez les péchés, ils seront remis ».
Pentecôte est la réalisation du don de l'Esprit et de la naissance de l'Église.
L'Esprit survient à son heure. Il fait irruption. Il se donne à tous, rejoignant chacun dans son identité, les unissant tous dans une même communion., dans une parfaite écoute réciproque… « et maintenant que l'Église est rassemblée par le Saint-Esprit, c'est son unité qui parle toutes les langues » (homélie ancienne du VIe siècle.
Chacun est destiné à entendre les merveilles de Dieu. Chacun reçoit la grâce d'entendre sur le champ, sans barrières, sans relais. Quoi qu'il en soit de la situation et de l'état : que nous soyons des romains de passage, des juifs de naissance, des étrangers convertis, chacun est pareillement appelé à recevoir et à entendre la Bonne Nouvelle du Salut.
Il y a une ouverture des cœurs et des esprits. Car comme le dit l'apôtre Paul : « Personne ne peut dire : Jésus Christ est le Seigneur, sinon dans l'Esprit Saint. Chacun reçoit le même Esprit. Voilà ce qui est annoncé, selon les dons variés de la grâce.
Tous entendent. Mais quelle est quelle sera la réponse de chacun ? Nous ne les savons pas. Mais ce que nous savons, c'est que tous ont pareillement entendu les merveilles de Dieu. Tous et chacun peuvent entendre la Bonne Nouvelle.
Comment cela éclaire-t-il la situation de l'annonce évangélique et de la foi aujourd'hui dans nos sociétés, à commencer dans nos familles, premier lieu de l'annonce. Nous savons bien ce qu'il en est. A de rares exceptions, un délitement s'est produit en 70 ans où en trois générations nous sommes passés de familles majoritairement pratiquantes, à des familles majoritairement non pratiquantes, et enfin de celles-ci à des familles majoritairement non-chrétiennes.
Récemment une enquête de l'INSEE relevait que la transmission de la religion dans les familles catholiques était sensiblement plus faible que dans les familles juives ou musulmanes. 29 % des sondés, âgés de 18 à 59 ans, se déclarant catholiques, contre 43 % dix ans plus tôt. Des analyses ont voulu décrire les causes de cette perte de transmission, comme aussi ce qui permettait son maintien. L'enquête mentionnée notait en comparaison que « 91 % des personnes élevées dans des familles musulmanes et 84 % dans des familles juives continuent à se revendiquer de la religion de leurs parents », contre seulement 67 % de celles élevées par des parents catholiques.
Certes, la foi chrétienne, le message du Christ n'ont pas les mêmes postulats que d'autres religions. Le positionnement n'est pas semblable quant au rapport à l'appartenance et à son expression, à la communauté, à la ritualité, au monde, à l'universel pour mentionner quelques aspects.
Si la grâce nous rencontre tous, encore faut-il l'annonce évangélique et la transmission. Il faut que les apôtres sortent et se mettent à parler. S'il faut des relais ecclésiaux, institutionnels (catéchèse, aumônerie, etc.), on sait le rôle primordial de la famille dans l'acte de transmission. Quel que soit le chemin sinueux parcouru, la vie chrétienne découverte dans la famille est l'expérience de la plupart d'entre nous. S'il y a une redécouverte de la foi par certains, c'est bien parce il y a eu une expérience fondatrice vécu dans l'enfance. Même aujourd'hui il n'est pas rare de rencontrer un jeune dans ses interrogations et son cheminement vers la foi, dans la mémoire de ce qui a été vécu avec des grands parents.
Si nous devons croire en la grâce toujours prévenante, présente sur nos chemins à telle heure de notre vie (l'éternité de Dieu se conjugue toujours au présent)…. Si nous savons et croyons que l'Esprit est toujours à l'œuvre, nous devons mieux prendre en considération les exigences de l'annonce.
Certes il convient de distinguer l'annonce de la transmission. Pendant des décennies, dans les années 1980, on a carté le langage de la transmission pour souligner la libre adhésion et refuser de confondre foi, religion et rites. Ces attitudes ne manquaient pas de fondement : elles ont aussi montré largement leur limite. Des distinctions désincarnées qui se sont exprimées dans le fameux « il choisira plus tard »au sujet du non-baptême. Nous savons que rien ne pouvait en fait se choisir, à défaut d'annonce, de témoignage structurant et d'une pratique. Si la famille n'est certes pas le lieu exclusif de la transmission, elle est cependant foncièrement un premier lieu de l'annonce évangélique et d'une vie en Christ, comme cela s'est vécu depuis l'antiquité chrétienne, même si d'autres lieux jouent un rôle tout au long de la vie, à travers les rencontres et les événements.
Par ailleurs si pour les chrétiens foi, religion, sacré, rites ne sauraient se confondre, leur séparation voire leur exclusion, conduit à répudier tout langage et culture nécessaires à l'expression de la foi. Il ne reste alors qu'une foi informe et aphasique, désincarnée et une recherche spirituelle incertaine, à moins de s'allier et se soumettre aux modes de penser du moment, comme on peut régulièrement le vérifier.
L'analyse que j'évoquais s'attache à indiquer ce que réclame « une cohérence qui favorise une adhésion » : La transmission réussie d'une génération à l'autre est le fruit de la combinaison de deux dimensions : la valorisation des rites et la dimension « totalisante » de la foi qu'un enfant reçoit et qui imprègne tous les aspects de sa vie [1] ».
Cette cohérence elle n'est pas seulement de l'ordre formel, culturel, social, mais elle renvoie à la vérité des existences qui est un des aspects qui rend possible la crédibilité de la foi. « Pour cela, il faut que le rite parvienne à ouvrir sur le message d'amour inscrit dans la foi catholique et trouve son chemin vers le cœur ».
Il ne suffira pas d'avoir une cohérence et un modèle de transmission. Cela se saurait ! Chacun sait que dans une famille, des enfants recevant une même éducation ne vont pas se situer de la même façon dans leur expérience de foi au Christ, leur relation à l'Église, à l'expression liturgique. D'autres réalités interviennent, et en fin de compte : ce que nous sommes dans notre liberté, dans notre conscience, lieu de notre ouverture à la Vérité.
Il y aura toujours une inconnue à la question : comment devient-on chrétien ?
Cependant, la transmission interroge au premier chef les familles, mais aussi toute la dimension publique et sociale. Nous avons perdu pour une grande part l'exigence et la nécessité d'une sortie de l'Église pour parler le langage de Pentecôte à la manière du pape François. Les passeurs se font rares aujourd'hui. La foi est devenue frileuse. Nous avons fini par nous ranger à l'injonction de nos sociétés qui ramène la foi au domaine privé des libertés individuelles.
En même temps l'urgence de la mission est une redécouverte de certains chrétiens et notamment de jeunes chrétiens.
Lors d'une récente réunion des prêtres du doyenné du centre-ville, c'est une laïque qui est venue exposer la réalisation du prochain Congrès-Mission qui aura lieu à Toulouse en octobre prochain.
Nos communautés ne seront des communautés de disciples du Christ qu'en devenant aussi des disciples missionnaires – convaincus, ardents et généreux.
Cela passe par des dynamismes recherchés et accueillis au sein de nos communautés chrétiennes et un élan apostolique mis en œuvre. Il importe que chacun y prenne sa part.
Je fais mienne cette réflexion d'un prêtre rencontrée dans un article de journal :
« Le destin du catholicisme se joue moins dan,s le repli sur ses préoccupations ou dans la piété des larmoiements, que dans la confrontation courageuse et vigoureuse aux questions engageant l'avenir de notre monde commun ».
Cela nous demande de nous laisser façonner et conduire par l'Esprit de Pentecôte.
Travaillons à la Pentecôte toujours actuelle – attendue et à l'œuvre.
Que s'accomplisse ce que nous demandions dans la prière d'ouverture : « Répands les dons de ton Esprit sur l'immensité du monde, et continue dans le cœur des croyants l'œuvre divine entreprise au début de la prédication évangélique ».
[1] Selon le sociologue Yann Raison du Cleuziou.