Père Christian Teysseyre | 25 septembre 2022
Les lectures de ce jour mettent en cause l'insouciance dans laquelle certains s'installent, voire les sociétés comme telles. L'insouciance consiste, comme le mot le dit, à n'avoir aucun souci vis-à-vis de soi, comme aussi à l'égard des autres. L'insouciance est fille de l'opulence. Elle n'a d'horizon que son univers, ses plaisirs et sa satisfaction insatiable. Le monde ne tourne qu'autour de soi. Amos comme Jésus décrivent la même dérive des riches, la même insouciance inconsciente.
L'opulence rend aveugle sur les autres et notamment sur les pauvres qui dérangent. La Bible dessine une permanence de cette situation. La bible dénonce avec fermeté les repus indifférents aux souffrances de ceux qui les entourent.
Les siècles, les systèmes économiques n'ont rien modifié de cet état d'esprit, de cet état des lieux et de fait. Les siècles peuvent passer. Les risques d'inconscience sont les mêmes.
Amos constate que ces insouciants ne se tourmentent guère du désastre d'Israël. Ils continuent à poursuivre leur rêve de prospérité et de satisfaction. Ils vont à leur perte inexorablement. Ils plongent dans le malheur sans le savoir « malheur à ceux qui vivent bien tranquilles dans Sion », ceux que le prophète appelle sans complaisance « des vautrés ». Toute sécurité qu'on se donne est apparente et illusoire
Jésus dans la parabole que nous connaissons stigmatise une attitude mortelle, celle de ne pas voir ou de ne pas vouloir voir le pauvre, tous ceux et celles qui gisent dans leur malheur. Ils sont toujours à la porte d'autres, à la porte de la vie.
Observons que le propos de Jésus a quelque chose d'étrange. Au début il y u,riche et un pauvre
Les riches, les puissants ont généralement un nom estimé, connu de tous. Ici ce riche est sans nom. Je ne dis pas que c'est un anonyme. Mais il n'est identifié que par sa richesse. Il est nommé « le riche ».
Tandis que le pauvre qui se tient à sa porte, ce pauvre qui par définition est sans nom – il faut être quelqu'un pour avoir un nom – or nous savons qu'il se nomme Lazare, le pauvre Lazare. Il vit au portail du riche – sans rien recevoir, oublié, inexistant. Chose étrange le nom Lazare et son sens. « El azar » signifie : « Dieu aide ». Dieu aide le pauvre.
Ceci nous renvoie à la place des pauvres dans le monde de Dieu. Pourquoi le pauvre reçoit-il une considération particulière de la part de Dieu ? Pourquoi les psaumes déclarent-ils le pauvre heureux ? Pourquoi Marie chante-telle le Dieu qui comble de biens les affamés et renvoie les riches les mains vides et qui élève les humbles ? C'est dire qu'il y a une réalité et un enjeu des situations vécues qu'on ne saurait réduire aux seules données économiques et à notre échelle de valeurs. Dieu donne une autre lumière sur les situations et les personnes. Dieu s'engage en faveur des pauvres comme les psaumes le prient et le chantent, en énonçant ce que Dieu fait
D'ailleurs, Dieu est descendu au plus bas de l'humanité de la naissance à la mort de Jésus de Nazareth. Il s'est fait pauvre et humble pour nous. Le verset de l'acclamation de l'évangile nous en a livré la clé avec cette parole de l'apôtre Paul : « Jésus-Christ s'est fait pauvre, lui qui était riche, pour que vous deveniez riche de sa pauvreté »
Alors nos sociétés et nos vies personnelles ont à faire place aux pauvres et à leurs paroles. Les voir et les écouter.
Charles de Foucault disait « Ne méprisons pas les pauvres, les petits, ce sont eux qui imitent le plus parfaitement Jésus dans sa vie extérieure »
Accéderons-nous à une vision évangélique qui ne correspond pas à nos jugements de valeur ordinaires, à nos vues toutes humaines ?
Jésus souligne ce rapport étroit entre savoir voir et écouter. Ne sait voir que celui qui écoute Dieu. Le riche au-delà de la mort se préoccupe des conditions des autres, de ses frères et des pauvres. Jésus nous dit de ne pas attendre après la mort pour voir clair. « Ils ont la loi et les prophètes : qu'ils les écoutent » ! dit-il. On ne peut pas voir Dieu dans le pauvre si on n'écoute pas Dieu, sa parole vivante. Après notre mort ce sera trop tard, nous dit Jésus.
Cela réclame d'autres pratiques. Le pape François nous alerte à ce sujet dans de nombreux enseignements, écrits et encycliques : qu'il s'agisse de Laudato si ou de Fratelli tutti.
Il y a d'abord à se soucier de la dignité de la personne qui est en souffrance et de ses conditions de vie. Savoir rejoindre l'autre. Que de générosités, d'ouverture de cœur, d'engagements divers dont nous sommes les témoins admiratifs.
Cela requiert aussi des changements dans les modes d'existence.
La sobriété qu'on semble redécouvrir aujourd'hui est sans aucun doute le moyen et un chemin pour ne pas s'enfermer sur soi et nous permettre de rester attentifs aux autres, d'ouvrir les yeux et de faire surgir un monde fraternel. Nous aurions tort de réduire la sobriété aux nécessités du temps et à des contraintes que le temps présent nous imposerait.
Saint Paul dans sa lettre à Thimothée nous dit qu'il faut nous emparer de la vie éternelle et que cela s'accomplit notamment par la charité et la persévérance. Saurons percevoir la pertinence et l'urgence de cet appel.
L'enjeu ? évaluer et convertir les attitudes mises en œuvre au cœur de situations que nous vivons.
Savons-nous les identifier ? Il s'agit non développer quelque mauvaise conscience, stérile mais de percevoir ce que réclame notre vie d'enfant du Père, afin de vivre en frères.
Un psaume (41) déjà nous ouvre à cette perspective : « Heureux celui qui se soucie du pauvre. Le jour de malheur, le Seigneur le délivre ».
Mgr de Kerimel a raison de souligner qu'il ne sert à rien de s'extasier de la lettre de Mgr Saliège il y a 80 ans sur la dignité de la personne humaine, d'admirer la lucidité, la force et le courage de cet homme, si on ne perçoit pas l'actualité de ce message, ce qu'il interroge et appelle comme réponse évangélique comparable aujourd'hui, avec ce que cela exige de savoir voir et entendre autour de nous.
Il s'agit de changer notre insouciance en souci des autres, pour ne pas se tromper de vie !