Père Christian Teysseyre | 25 décembre 2022
L'évangile de Jean mis en forme à la fin du premier siècle nous présente un prologue développé, une véritable contemplation du mystère du Christ. Ce qu'il vise nous rejoint nécessairement, comme cela a rejoint toutes les générations de croyants depuis 2000 ans, mais cela nous rejoint aujourd'hui certainement d'une manière particulière.
Car il n'est pas possible d'éluder des questions essentielles
– Qui est le Christ ? Que dit-il de Lui ? est-ce croyable ?
– Qui est le Christ ? qu'est-ce que l'Église croit de lui, dans la lumière de l'Esprit Saint ?
– Qui est le Christ pour moi, aujourd'hui ? dans l'histoire de chacune de nos vies, dans l'histoire de notre chemin de foi, dans l'histoire de notre monde, avec ses multiples crises.
Dans ce passage de l'évangile, c'est toute la réalité de l'incarnation qui est là dévoilée :
– Le Verbe éternel de Dieu
Il est la vie, la lumière des hommes
– Le verbe s'est fait chair et il a demeuré parmi nous.
Dieu s'est fait humain. Dieu et l'homme sont réunis par un trait d'union. Il y aura toujours quelque chose d'étonnant dans ce trait d'union : L'éternel s'inscrit dans le temps. L'infini épouse la finitude. Là est bien la révélation chrétienne. L'inouïe de la foi.
La révélation chrétienne devient anecdotique et frivole quand nous réduisons cette bonne nouvelle à quelques considérations morales exemplaires, servant de vague référence culturelle, réduite à un consensus généreux sans relation personnelle au Dieu vivant. L'effacement de toute transcendance rend illisible le mystère chrétien.
Mais pour nous, cette transcendance a un visage, celui du Dieu unique, Dieu a dévoilé son visage tout au long des siècles dans l'alliance avec son Peuple Israël et enfin par son Fils Jésus le Christ.
Pour que Dieu vienne, il faut qu'il soit !
Un mystique rhénan du XVIIe siècle parlait des deux miracles de Noël : Que Dieu se fasse homme et que l'homme puisse le croire. Mais cela suppose que Dieu soit Dieu, que Dieu soit Dieu avant nous, avant le temps, et qu'il soit aussi Dieu pour nous ainsi que nous le disons dans le Credo : « Pour nous les hommes et pour notre salut, il descendit du ciel, par l'Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie et s'est fait homme ». Le verbe de Dieu, celui par qui le monde fut créé est venu jusqu'à nous pour y demeurer toujours.
En effet, il y a l'autre versant, sa venue : l'incroyable : que Dieu se fasse homme pour nous. Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné son Fils Unique. Dieu aime sa créature jusqu'à se risquer à la rejoindre, et il épouse ce qui la constitue. La raison achoppe devant un tel énoncé : trop d'empêchements insurmontables s'imposent à notre esprit et nous paralysent et nous empêchent de nous lever et d'aller vers le Christ en toute confiance. Sainte Catherine de Sienne était émerveillée devant cette révélation. Dans son Dialogue sur la Providence, elle s'interroge sur le pourquoi Dieu a conféré à l'homme la dignité de porter sa ressemblance – elle écrit : « certainement, c'est uniquement l'amour incompréhensible par lequel tu as considéré ta créature en toi-même (et tu t'en es épris) [Catherine de Sienne reprend volontiers cette expression de l'amour incompréhensible de Dieu). Tu as voilé ta divinité éternelle en prenant la chair d'Adam, misérable et pécheresse. D'où vient cela ? uniquement de ton amour inexprimable ». Comment ne pas admirer cette intelligence – de l'esprit et du cœur – de cette femme, docteur de l'Église.
Faisons-nous un cœur d'enfant pour accueillir l'ineffable. Que notre raison se mette à genoux devant l'Amour infini de Dieu, contemplant la générosité de Dieu qui nous donne son Fils.
« Dieu nous a parlé par son Fils qu'il a établi héritier de toutes choses et par qui il a créé les mondes. Rayonnant de la gloire divine, expression parfaite de son être, le Fils porte l'univers par sa parole puissante ». Parole décisive. Ainsi, l'auteur de la lettre aux Hébreux porte un regard semblable à celui de Jean. Sommes-nous prêts à accueillir le Christ comme la Parole indépassable de Dieu. En lui nous recevons tout ce qui nous permet de trouver la vie.
Saint Jean de la Croix, cet autre spirituel théologien, écrit avec assurance et sans fioriture : « En nous donnant son Fils ainsi qu'il l'a fait – lui qui est sa parole dernière et définitive – Dieu nous a tout dit – ensemble et en une seule fois et il n'a plus rien à dire ». Il cite alors le début de la lettre aux hébreux que nous avons entendu et il continue donnant la parole à Dieu : « Je vous ai dit tout ce que j’avais à dire, par la Parole qui est mon Fils. Fixez les yeux sur lui seul, car en lui j’ai tout établi, en lui j’ai tout dit, tout révélé, et vous trouverez là bien plus que tout ce que vous désirez et demandez ». Nous sommes invités à fixer les yeux sur lui seul !
Oui, dans le Christ tout est dit. Ne pensons pas qu'il faudrait quelque révélation complémentaire pour assurer la croissance de l'humanité. Hier comme aujourd'hui, rien de ce qui est humain ne trouve son accomplissement et ne prend tout son sens, hors du dessein du Père qui a trouvé sa réalisation plénière dans le Christ.
L'approche du prologue de Jean ou de l'auteur de la lettre aux Hébreux renouvelle de fond en comble la présentation traditionnelle du Christ. Ici, le point de départ n'est plus tant l'existence concrète de Jésus, mais la méditation sur le Verbe divin, fondement assurant à l'univers existence et permanence.
Le croyant est appelé à déchiffrer sur le visage humain de Jésus les traits du Dieu invisible « Qui me voit, voit le Père » dira Jésus. Et Jean dira en écho : « Nous avons vu sa gloire, la gloire qu'il tient de son Père comme Fils unique »
Deux écueils que nous rencontrons sont à la source de la méditation de ce jour :
– Jésus, le Christ, ne fait pas nombre avec tous les sages et les prophètes qui ont accompagné l'histoire de l'humanité. Il est Dieu, né de Dieu, Lumière, né de la Lumière. Le Christ est le seul sauveur. Est-il pour nous ce qu'il affirme être : le Chemin, la Vie, la Vérité ?
– L'Église, malgré ses pesanteurs, ses contradictions et les questions qu'elle peut susciter reçoit pour mission de témoigner de l'engagement de Dieu dans notre humanité. L'Église est sacrement du Salut, signe et instrument, c'est-à dire qu'elle est donnée et envoyée pour manifester le Christ et son salut dans l'aujourd'hui de ce monde, et pour tous les hommes. Cette réalité spirituelle dépasse ce qu'elle donne à voir ou ne donne pas à voir. (citation d'un extrait de tribune de Mgr Mathieu Rougé dans le Figaro).
Dieu est venu habiter parmi nous. Il ne cesse de venir. Que nos cœurs le reconnaissent. Que nos vies lui