Père Christian Teysseyre | 15 octobre 2023
Heureux les invités au festin des noces de l'Agneau
Accueillir la large invitation, revêtir le vêtement de noce
C'est une nouvelle parabole troublante que nous venons d'entendre. On a beau faire apparaître la pointe de la parabole, c'est –à dire sa visée : à savoir l'universalité du salut offert à tous, des éléments associés nous interrogent et nous déconcertent. Cette parabole comme celle que nous entendions dimanche dernier fait apparaître de vives tensions, tensions permanentes.
C'est dans ce registre que se trouvait Jésus dans son opposition aux chefs religieux et qu'il percevait la fin de son parcours terrestre.
Le festin, la joie des noces est le projet de Dieu. Les prophètes l'annonçaient, nous l'avons entendu avec le prophète Isaïe avec l'invitation élargie, adressée à tous les peuples, ouvrant un renouvellement et une réponse nouvelle.
Tout est prêt. C'est bien le message de Jésus. La venue du Règne de Dieu.
Les invitations ont été lancées depuis longtemps. Dieu sans cesse les renouvelle.
Il y a le refus des premiers conviés, le Peuple d'Israël. Leur refus est tout à la fois une marque d'indifférence et une attitude de mépris, à la fois un positionnement orgueilleux et une vie trop occupée pour accueillir autre chose. Ils n'ont rien à faire de cette invitation.
De plus, le refus s'exprime par l'exclusion et la mise à mort des envoyés du roi.
Comme dans la parabole des vignerons homicides que nous lisions dimanche dernier, nous retrouvons les mêmes perspectives : le refus du dessein du Père, la colère divine et le dessaisissement des premiers destinataires, de nouvelles perspectives, l'inlassable disposition de Dieu. Au sujet de la colère divine, Jésus la faisait habilement déclarer par ses auditeurs, en leur demandant que fera le maître de la vigne à l'égard des vignerons homicides ? Ici c'est Jésus qui met en scène la réaction royale et la disparition des sujets factieux. Même si cela ne constitue pas l'essentiel de la parabole, ce n'est pas sans retentissement et sans portée. Les premiers chrétiens ont vu la destruction de Jérusalem : un traumatisme et une question.
Le roi a une réaction violente, passionnée devant le refus manifesté. Il ne peut supporter que son dessein soit réduit à néant. Il supprime ces malotrus et les déclare indignes ! Il y a un constat d'échec. Quel gâchis ! Comme avec la mort du Christ, nous sommes au bout d'une voie sans issue. Le dessein de Dieu est mis en pièce.
Cependant, une nouvelle page va s'écrire : le roi appelle à rassembler tous ceux que l'on peut trouver, sans être regardant, les bons et les mauvais, les estropiés, les vagabonds. L'invitation n'est plus retreinte, séculaire, mais elle est large, vaste ; elle s'ouvre à tous, sans préalable. Elle est adressée au tout-venant, aux croisées des chemins, au lieu des grands passages.
Jésus n'a-t-il pas en permanence répercuter cette invitation. Combien de paraboles, de formules incisives rendent compte de cette optique.
De fait l'invitation est largement répercutée. La réponse suit. Entrent dans la joie de Dieu tous ceux qui ont acceptés le salut offert, sans être des champions en religion et en morale.
Tout devrait se terminer sur cette heureuse fin. Nous y lirions aisément le message chrétien. D'ailleurs regardez vos missels : la lecture brève s'arrête là. Sur cette réussite enfin. Sa salle est maintenant remplie de convives. La noce connaît un beau succès d'affluence.
Mais il y a un épilogue à rebondissement, qui crée une nouvelle perplexité, par cette chute nouvelle inattendue. Un convive est entré sans vêtement de noces. Il se fera expulser dans les ténèbres extérieures, là il y aura des pleurs et des grincements de dents, selon une image souvent utilisée par Jésus.
Nous comprenons bien ce qui est en jeu. Si l'invitation est large et généreuse, elle suppose aussi des exigences et d'une réponse correspondant à celles-ci. Certes il s'agit d'un seul convive, mais cet événement vient souligner qu'on ne peut se contenter d'une réponse qui n'en est pas une, dans une indifférence neutre à l'invitation de Dieu, à cet événement qui fait la joie de tous. On ne peut se contenter d'une réponse donnée un jour. Il n'y a pas un automatisme du salut. Il faut revêtit l'homme nouveau.
Le vêtement des noces est la foi véritable qui passe par le Christ.
Il convient d'affirmer simultanément la générosité de Dieu, de son appel de tous, et notamment des plus petits et des plus abimés.
Et les exigences qui traduisent le sérieux de suivre le Christ, ce que cela demande.
Nous retrouvons cette tension tout au long de l'histoire de l'Église, dès son commencement. Notre époque la vit aussi.
Un Théologien présentait récemment dans une interview les deux visions des papes Jean Paul II et François, 30 années les séparant. Il s'agit du père Alain Thomasset, jésuite, professeur de théologie morale au Centre Sèvres.
Vous me permettrez de vous résumer cette réflexion éclairante. Elle est comme un champ d'application de la parabole.
L'auteur faisait observer que l'encyclique Veritatis Splendor du pape Jean-Paul II, parue en octobre 1993, a voulu rappeler des vérités fondamentales de la doctrine catholique, et donner des fondements pour la morale chrétienne à un moment où, même chez les chrétiens, apparaissait une forte tendance au relativisme et au subjectivisme présents dans la culture ambiante. Le pape Jean Paul II expliquait d'abord que la vie morale est « une suite du Christ », un désir de conformer sa vie à celle du Christ avec l'aide de l'Esprit Saint. Le pape réaffirmait ensuite l'existence de préceptes moraux universels et immuables, fondés sur la nature de la personne humaine et sur sa dignité, qu'il s'agit de promouvoir et de respecter. Il alertait sur le danger du relativisme qui nierait ces normes universelles, et du subjectivisme qui laisserait à chacun le soin de décider arbitrairement ce qui est bon.
Or, la conscience n'est pas isolée. Il y a une objectivité de la vie morale, qui vise le bien et s'appuie sur la recherche de la vérité.
Il note ensuite que le pape François dans son exhortation apostolique Amoris laetitia et dans d'autres documents et approches entend rejoindre toute personne dans les dilemmes et les difficultés singulières que la vie présente à sa conscience. Tout en rappelant l'objectivité de la loi et son caractère structurant, il affirme que le discernement moral en situation est le complément indispensable au respect des normes et de la loi. le pape François rappelle que la vie morale ne consiste pas seulement ni d'abord à obéir à une loi extérieure. C'est une démarche spirituelle, où la conscience joue un rôle fondamental
Et le Père Thomassen conclut en disant que non seulement les deux approches sont nécessaires et complémentaires et en rappelant que la tradition de l'Église avance par rééquilibrages successifs.
Il souligne aussi que tout demande à être lu dans une continuité.
Cette présentation m'a semblé illustrer la parabole que nous venons d'entendre et la continuité entre liberté de répondre à l'appel de Dieu et refus, la large invitation de Dieu, et les exigences évangéliques pour suivre le Christ.
Cela se vérifie dans le cours de l'histoire au long des siècles et des phases successives
– dans l'enseignement de l'Église et l'accompagnement pastoral,
– comme aussi dans chacune de nos vies personnelles au long de leur déroulement.
Puissions-nous entendre ce à quoi cela nous appelle inséparablement
– dans un accueil de Dieu qui nous invite à répondre à son appel, à la croisée des chemins où nous nous tenons et où passent nos vies,
– et dans l'accueil des exigences concernant notre réponse.
L'un ne va pas sans l'autre.