Père Christian Teysseyre | 11 septembre 2022
Les textes de ce jour font entrevoir une tension (entre la première lecture et l'évangile) qui demande quelque éclairage.
Le Dieu de l'alliance agit et intervient pour son peuple. Il le libère de la servitude et le conduit vers une terre nouvelle, une terre de liberté. Dieu se lie à un peuple à qui il se fait connaître, avec qui il fait route. Il y a là, avec Moïse, une étape nouvelle qui s'ouvre et s'écrit comme réalisation du dessein de Dieu dans l'histoire de l'humanité. L'exode est le chemin de Dieu dans l'histoire des hommes. C'est ce que vient de nous rappeler la première lecture du Livre de l'Exode. Mais nous voyons en même temps que le peuple s'écarte de son Dieu, du chemin d'alliance contractée. Deux phrases disent cela avec force : ton peuple s'est corrompu. Il s'est écarté du chemin que je leur avais ordonné de suivre. Se corrompre (se perdre) et s'écarter. C'est le constat et la dénonciation de la rupture. Nous le voyons : l'infidélité annule le don et vise à construire sa propre histoire, une histoire insensée qui mène à la perte des biens essentiels. C'est ce que vit Israël. La Bible dans un anthropomorphisme, une vision qui part de notre expérience humaine nous fait entrevoir la souffrance de Dieu devant cette alliance battue en brèche… mais la bible nous dit aussi comment Dieu va persévérer dans la patience, langage tout humain pour dire l'attente de Dieu à l'égard des hommes, son engagement fidèle et son investissement inlassable. Saint-Paul affirmera que l'amour qui surpasse tout est patient. Quelque chose se fait ici entrevoir dans la ligne de ce que Dieu dévoile à Moïse et que le croyant ne cessera de dire en se tournant vers Dieu dans sa prière : « Toi, Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, plein d’amour et de vérité » (Psaume 85, 15)
Et Jésus dans les paraboles que nous avons entendues – dans un registre inédit – ne nous dira pas autre chose. Dieu ne cesse pas d'être à la recherche de l'homme. Souvent nous considérons comment l'homme est en recherche de Dieu. Mais ici, ce que Jésus met en avant, c'est ce que fait Dieu, ce que nous sommes chacune, chacun pour Dieu. Comment nous existons de manière unique, comment Dieu nous cherche et se réjouit que nous soyons avec lui.
Dieu est venu dans notre humanité pour cela pour que nul ne soit à jamais perdu, égaré. Jésus affirme cela à son sujet, soulignant ainsi son identité et sa mission, lorsqu'il dit : Le Fils de l'homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. C'est là le cœur de l'Évangile. Avant d'être un chemin à prendre, la Bonne nouvelle de l'Évangile consiste à nous laisser trouver, rencontrer par Dieu. La parabole de l'enfant prodigue voit le père dire et répéter à tous : « mon fils était mort et il est revenu à la vie, il était perdu, et il est retrouvé ».
Cela nous demande de savoir que nous sommes perdus et de nous laisser trouver par Dieu. Saint Augustin avec une profondeur inégalée dit bien cela dans l'expérience qui a été la sienne et il le dit avec une finesse sui nous rejoint et nous parle
Tu étais au-dedans de moi et moi j’étais dehors, et c’est là que je T’ai cherché. Ma laideur occultait tout ce que Tu as fait de beau. Tu étais avec moi et je n’étais pas avec Toi. Ce qui me tenait loin de Toi, ce sont les créatures, qui n’existent qu’en Toi. Tu m’as appelé, Tu as crié, et Tu as vaincu ma surdité. Tu as montré ta Lumière et ta Clarté a chassé ma cécité. Tu as répandu ton Parfum, je T’ai humé, et je soupire après Toi. Je T’ai goûté, j’ai faim et soif de Toi. Tu m’as touché, et je brûle du désir de ta Paix.»
Dans un autre passage il écrivait dans le même sens « Tu étais au-dedans de moi, tu étais plus intime que l'intime de moi-même, et plus élevé que les cimes de moi-même »
Cette expérience a été décisive pour lui. Elle n'a pas été un moment fort, intense, exceptionnel, mais un changement radical, un tournant dans sa vie.
Il est un autre aspect que Jésus souligne, c'est que nous laisser trouver, c'est mettre le ciel en joie. C'est la joie de Dieu que de nous trouver « Je vous le dis il y aura de la joie dans le ciel – devant les anges de Dieu – pour un seul pécheur qui se convertit ».
La parabole du père miséricordieux dessine le visage du Père, qui guette et attend le retour du fils perdu, sa joie débordante à son retour, la restauration dans la filiation et dans le don.
Dieu ne cesse de nous attendre, de nous espérer.
Il nous faut prendre la mesure de cela. Nous laisser rejoindre là où nous nous sommes perdus. Reprendre la route, aller, nous laisser relever, retrouver notre identité de fils et de fille de Dieu, retrouver notre place dans ce que Dieu désire pour nous. Tel est le chemin permanent de nos vies, nous ouvrir à la grâce de Dieu. Un chemin toujours à parcourir, un chemin toujours ouvert.
En ce lieu, dans le sacrement de réconciliation, prêtres, nous sommes les témoins de cette découverte que font des personnes (après des temps d'errance) serviteurs de la Miséricorde de Dieu auprès de ces personnes.
Nul n'est trop loin pour Dieu. Il nous suffit de choisir la vie.
Dieu nous attend encore.