Père Lizier de Bardies | 26 avril 2020
3ème dimanche de Pâques (A) 26 avril 2020
Quand il fut à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. »
Selon les évangélistes Marc, Luc et Matthieu, lors de ses apparitions à ses disciples Jésus mange avec eux ; ou bien c'est au cours d'un repas qu'il leur apparaît. Ce fait frappant est cohérent avec la grande place que les repas tiennent dans l’Évangile et dans l'enseignement de Jésus, depuis son premier signe lors d'un repas de noces à Cana de Galilée. Dans les paraboles aussi, banquets et festins sont souvent évoqués comme signes de la fête divine. Les adversaires de Jésus ne le traitent-ils pas d'ivrogne et de glouton ?
Lui-même, qui ne dédaignait pas de s’asseoir à la table des pécheurs, s’invite à notre table, dans le Livre de l’Apocalypse : « Voici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. » Les deux disciples d'Emmaüs ont entendu sa voix et lui ont ouvert la porte de leurs cœurs, et Jésus a accepté leur invitation et pris son repas avec eux. Mais ce n'est que quand celui-ci refit les gestes de la multiplication des pains, ceux-là même de la dernière Cène, que leurs yeux s'ouvrirent, alors que le Ressuscité disparaissait à leur regard. Même quand leurs cœurs étaient tout brûlants sur la route, ils ne le reconnaissaient pas. Pour eux Jésus, mort, était toujours enfermé dans le tombeau. – Mais n'est-ce pas plutôt eux qui étaient morts et enfermés dans le tombeau de leur tristesse et de leur manque d'espérance ? C'est dans le pain rompu et partagé qu'ils reconnaîtront la présence de Jésus. Aussitôt leur perspective change : de découragés qu'ils étaient, et alors que l'obscurité de la nuit se faisait proche, ils retournent à Jérusalem témoigner de la lumière qui s'est levée : ils ont vu le Ressuscité ! Nous aussi avons besoin du pain et du vin, du sacrement de l'eucharistie, de la célébration de la messe, pour témoigner de sa résurrection et vivre en disciples du Christ: « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne » écrit saint Paul aux Corinthiens. Nous ne pouvons pas rester longtemps privés de rassemblement eucharistique, car nous sommes la religion de l'incarnation !
Il reste que la présence de Jésus ressuscité sous le signe de l’Eucharistie reste une réalité voilée à notre regard, comme pour les disciples d’Emmaüs. Car les yeux des hommes ne voient que l’apparence, et Jésus n’est pas enfermé dans le Pain, qui est une réalité spirituelle. Jésus ne s’y donne pas à voir mais à reconnaître, pour que nous apprenions à le reconnaître ailleurs : dans les Écritures, sur le chemin où je marche, dans l’inconnu que je rencontre…
* Reconnaître Jésus dans les Écritures ? – Que ce soit avec les deux compagnons d'Emmaüs, ou avec les Onze apôtres immédiatement après, Jésus ouvre les disciples à la compréhension des Écritures, leur montre dans les Prophètes, dans les Psaumes, dans les livres de Moïse, tout ce qui le concerne. De même, dans la première lecture de ce dimanche extraite du discours de Pierre le jour de Pentecôte, celui-ci évoque » le dessein bien arrêté et la prescience de Dieu « , et cite des psaumes annonciateurs de la mort et la résurrection de Jésus que l'Esprit Saint avait mis dans la bouche de David. De même, dans la seconde lecture tirée de sa Première Lettre Pierre précise : dès avant la fondation du monde, Dieu avait désigné d'avance le Christ, » un agneau sans défaut et sans tache. »
« Selon les Écritures », résumons-nous donc dans le Credo… Sur la montagne de la Transfiguration Moïse et Élie (la Loi et les prophètes) apparaissent dans la lumière de Jésus et dialoguent avec lui. On connaît l'axiome de saint Augustin, sans cesse répété au Moyen-Age : « Le Nouveau Testament est caché dans l'Ancien, l'Ancien est révélé dans le Nouveau ». Cela ne veut pas dire que tout était écrit d'avance, et pour ainsi dire, programmé – car la liberté de Dieu respecte la liberté de l'homme ; mais cela signifie au fond que Dieu reste fidèle à lui-même, fidèle à ses promesses, fidèle à ses choix, fidèles à ses manières de faire, pourrait-on dire… Et son dessein de salut transcende le temps, l'espace, et l'histoire…
* *Reconnaître Jésus sur le chemin où je marche, le reconnaître dans l’inconnu que je rencontre… L'acte de foi dans la présence de Jésus, dans sa proximité, dans les signes qu'il me donne peut être aussi difficile pour nous que pour les disciples d'Emmaüs ! Le reconnaître dans le petit, l'enfant, le pauvre auquel Jésus s'identifie dans l'Évangile est peut-être une obéissance de la foi difficilement à notre portée : nous ne sommes pas saint Vincent-de-Paul !
Notre consolation, notre force et notre soutien est que Jésus nous reconnaît, lui ! Comme pour les disciples qui marchent découragés, Jésus s'approche sans bruit, marche à nos côtés et ouvre notre cœur. Qu'importe que nous ne le reconnaissions peut-être que plus tard. L'important n'est-il pas qu'il fasse route avec nous ? » Moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde. »